Droit équin : le recouvrement des créances impayées

   
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Grand prix d’Amérique 2021: 4 BAZIRE, 3 GUARATO, et une superbe lutte finale dans la ligne droite entre leurs deux cracks respectifs !

 

 

Voilà bien la démonstration de la tendance de plus en plus marquée du trust des grandes courses de trot par seulement quelques grandes écuries, et de la diminution sensible des "petits" entraîneurs et propriétaires.

 

Notre propos n’est pas de se féliciter ou de s’alarmer de cette situation récente, ni même d’en rechercher toutes les causes qui sont d’ailleurs multiples.

 

 

Mais l’une de ces causes réside incontestablement dans la crise économique que nous traversons amplifiée par la pandémie actuelle. En effet sur un plan financier il est de plus en plus difficile d’équilibrer son budget, en étant propriétaire d’un ou deux trotteurs.

 

 

Pour l’entraîneur, à moins de travailler avec de grandes écuries, mieux vaut être propriétaire des chevaux que l’on travaille.

 

 

D’une part, cela évite d’être confronté aux exigences d’un propriétaire souvent en quête d’une rentabilité immédiate contraire à une optimisation de la carrière de courses.

 

 

D’autre part, et surtout cela évite d’être confronté au risque d’impayés, d’autant plus grand que les difficultés financières du propriétaire sont importantes.

 

 

Or malheureusement l’arsenal juridique actuel susceptible d’apporter des solutions en cas d’impayés est peu efficace et guère réjouissant ! Pour autant, il convient d’agir rapidement étant rappelé que la prescription est de deux ans pour les factures adressées aux consommateurs et qu’un courrier ne permet pas d’interrompre la prescription.

 

 

Toutefois, une disposition contenue dans la proposition de loi contre la maltraitance animale, est susceptible d’apporter une sérieuse amélioration au traitement des créances impayées.

 

1-Les solutions actuelles de recouvrement des créances impayées :

 

L’entraîneur, qui se trouve confronté au non paiement de factures de pension et d’entraînement de la part d’un propriétaire de chevaux, se trouve soumis aujourd’hui en quelque sorte à un régime de double peine !

 

 

D’une part il va devoir exposer des frais en engageant des procédures pour obtenir une condamnation du propriétaire débiteur, et d’autre part, il va devoir supporter, pendant une durée souvent fort longue, les frais d’entretien et de soins des chevaux qui lui ont été confiés par ce propriétaire défaillant.

 

 

Il pourra pour obtenir un titre exécutoire envisager trois sortes de procédure :

 

 

1/ la procédure d’injonction de payer:

 

 

Dans un premier temps cette procédure est unilatérale et non contradictoire, puisqu’elle consiste pour le créancier à déposer une requête au Tribunal judiciaire, afin d’obtenir une ordonnance d’injonction de payer condamnant son débiteur à lui régler les sommes dues.

 

 

Bien évidemment le créancier doit joindre à sa requête les pièces justifiant de sa créance. Cela suppose pour l’entraîneur qu’il puisse justifier d’un contrat le liant au propriétaire défaillant, de factures de pension établies de façon régulière, et de demandes en paiement insatisfaites.

 

 

À défaut sa requête risque fort d’être purement et simplement rejetée par le juge, ce qui démontre une nouvelle fois l’intérêt d’établir des écrits ! (Les accords verbaux du style "je garde tels frais à ma charge en échange d’une patte sur un futur poulain " sont évidemment à proscrire !)

 

 

S’il obtient une ordonnance faisant droit à sa demande, le créancier doit ensuite la signifier au débiteur qui dispose alors d’un délai d’1 mois pour faire opposition devant le Tribunal.

 

 

En cas d’opposition, le dossier sera évoqué devant le tribunal sur convocation du greffe, et alors il faudra suivre la procédure normale, ce qui demandera plusieurs mois.

 

 

À défaut d’opposition, le créancier pourra demander au juge d’apposer la formule exécutoire sur son ordonnance et s’adresser ensuite à un huissier de justice pour tenter de recouvrer sa créance.

 

 

Notons qu’il existe une procédure d’injonction de payer européenne sensiblement analogue, permettant de recouvrer une créance impayée à l’encontre d’un débiteur membre d’un pays européen.

 

 

La loi de programmation de la réforme de la justice du 23 mars 2019 a prévu de simplifier encore cette procédure d’injonction de payer en la confiant à une juridiction nationale avec un traitement dématerialisé. Toutefois l’entrée en vigueur de cette réforme a été reportée au 1er septembre 2021.

 

 

 

2/la procédure de référé :

 

 

Il est également possible pour le créancier d’engager une procédure de référé devant le président du Tribunal judiciaire ou devant le président du Tribunal de commerce suivant que le propriétaire défaillant est ou non commerçant.

 

 

Cette procédure a l’avantage d’être rapide, mais elle doit être contradictoire et surtout ne pourra aboutir que si la créance invoquée ne se heurte à aucune contestation sérieuse.

 

 

Ainsi là encore les pièces produites devront établir de façon incontestable la créance alléguée.

 

 

3/ la procédure devant le Tribunal :

 

 

 

Dans le cadre de cette procédure contradictoire le tribunal statuera au fond, et réglera donc l’ensemble des questions en litige.

 

 

L’inconvénient de cette procédure est sa durée car il risque de s’écouler de nombreux mois avant qu’un jugement ne soit rendu !

 

 

Relevons que désormais les créances de moins de 5.000 euros sont soumises à une tentative de conciliation ou de médiation obligatoire.

 

 

Notons également que la plupart des contrats d’assurance contiennent une protection juridique qui permet de financer ces procédures.

 

 

Mais une fois la décision de justice rendue le créancier ne sera pourtant pas au bout de ses peines !

 

 

Il lui faudra en effet, à défaut de règlement spontané de la part du débiteur, s’adresser à un huissier de justice pour poursuivre le recouvrement forcé de sa créance.

 

 

L’huissier pourra tenter, le cas échéant, une saisie des comptes bancaires, une saisie sur salaire. Si le débiteur n’est pas salarié et si ses comptes bancaires ne sont pas créditeurs, ce qui est probable, il faudra alors envisager une saisie-vente des biens du débiteur et notamment des chevaux qu’il a confiés à l’entraîneur et qui sont la cause de la créance.

 

 

Or là encore la procédure de saisie-vente n’est pas sans embûche et nécessite un délai important. En effet pour envisager la vente forcée des chevaux confiés, il faudra s’adresser à un huissier qui délivrera un commandement de payer dans un délai de huit jours.

 

 

À l’expiration du délai de huit jours, l’huissier pourra dresser un procès-verbal de saisie en saisissant les chevaux confiés. En ce cas, le procès-verbal de saisie désignera comme gardien des chevaux jusqu’à leur vente, l’entraîneur qui les héberge.

 

 

Le propriétaire débiteur pourra encore arrêter la saisie-vente en procédant lui-même à la vente amiable de ses chevaux dans un délai d’un mois, ou en réglant sa dette.

 

 

Ce n’est qu’à l’expiration d’un délai d’un mois suivant le commandement de payer qu’à défaut de réaction du débiteur, la vente aux enchères des chevaux saisis pourra être effectuée par un commissaire-priseur judiciaire ou à défaut par l’huissier.

 

 

Il faudra au préalable effectuer la publicité de la vente et aviser le débiteur au moins huit jours avant cette date.

 

 

Et encore faudra-t-il espérer que le débiteur ne soulèvera aucun incident de saisie susceptible de repousser sensiblement la date de la vente !

 

 

Ainsi en cas d’impayés, il s’écoulera nécessairement de nombreux mois et un temps trop long avant que l’entraîneur créancier puisse faire vendre les chevaux confiés et être ainsi payé sur le prix de vente.

 

 

Or pendant tout ce temps, l’entraîneur non seulement restera en tant que gardien responsable des chevaux confiés, mais encore il devra en assumer les frais d’entretien et en tant que de besoin les soins divers exigés par leur état !

 

2-La réforme envisagée :

 

L’Assemblée nationale a adopté en première lecture le 29 janvier dernier une proposition de loi contre la maltraitance animale. Cette proposition sera examinée ultérieurement par le Sénat et la réforme présentée n’est donc qu’à l’état de projet ce jour.

 

 

Le projet de Loi contient diverses dispositions concernant les équidés qui pourraient être intéressantes, et notamment en son article 7, l’une relative à la possibilité de vendre des chevaux confiés en cas d’impayés.

 

 

Cette disposition a été proposée par Madame Martine LEGUILLE-BALLOIS, députée de Loire-Atlantique, et Présidente du groupe cheval à l’Assemblée Nationale, dans le but de lutter contre les cas trop fréquents d’abandon du cheval entre les mains du gardien de la part de propriétaires qui disparaissent dans la nature ou sont insolvables.

 

 

Certes, l’entraîneur gardien dispose, en vertu de l’article 1948 du Code civil, d’un droit de rétention sur l’animal mais cela ne lui permet pas pour autant de se décharger des frais d’entretien.

 

 

Il serait donc ajouté au Code rural et de la pêche maritime un article L.211–10–1, instaurant une nouvelle procédure de vente des équidés.

 

 

Si un cheval est confié à un tiers, dans le cadre d’un contrat de dépôt ou de prêt à usage, et que le propriétaire ne le récupère pas dans un délai de 3 mois à compter de la réception d’une mise en demeure motivée par un défaut de paiement ou une inaptitude ou incapacité totale de l’animal d’accomplir les activités pour lesquelles il a été élevé, le dépositaire pourra faire procéder à la vente du cheval.

 

 

Le créancier qui voudra user de cette faculté, devra présenter une requête au tribunal judiciaire pour justifier de sa demande et pourra demander la désignation d’un tiers à qui le cheval sera confié en cas de carence des enchères.

 

 

Le juge rendra une ordonnance signifiée au propriétaire par huissier, et ce dans un délai maximum de 3 mois.

 

 

1 mois après la signification de l’ordonnance, la vente aux enchères sera effectuée sauf si le débiteur a, durant ce délai, récupéré son cheval en s’acquittant de la totalité de sa dette.

 

 

Autrement dit, cette nouvelle procédure permettrait d’accélérer sensiblement le processus de vente des chevaux confiés, en évitant qu’ils restent durant de trop nombreux mois sous la garde et à la charge de l’entraîneur.

 

 

Il s’agit là d’une réforme utile dont on peut espérer qu’elle sera définitivement votée, et qui est susceptible de redonner un peu de confiance de la part des entraîneurs à l’égard des "petits " propriétaires.

 

A propos de l'auteur

Photo de Sophie  BEUCHER

Avocat au Barreau d'ANGERS DESS droit des entreprises Membre de l’Institut du Droit Equin Chargée d’enseignement au pôle universitaire du saumurois Diplômée... En savoir +

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Photo de Sophie BEUCHER

Sophie BEUCHER

Avocat au Barreau d'ANGERS

DESS droit des entreprises
Membre de l’Institut du Droit Equin
Chargée d’enseignement au pôle universitaire du saumurois

Diplômée d’un DESS droit des entreprises dispensé par la Faculté de Droit d’Angers, Sophie BEUCHER a intégré le Cabinet LEXCAP en 2004 en qualité de juriste.

Après avoir obtenu son diplôme professionnel par équivalence, elle s’est inscrite au Barreau d’Angers en 2009 tout en poursuivant sa collaboration avec le Cabinet LEXCAP et plus particulièrement avec Thierry BOISNARD dans le domaine du contentieux commercial.

Elle fait partie de l’équipe du secteur contentieux commercial qui intervient dans tous les domaines du droit des affaires.

Sophie BEUCHER est plus particulièrement en charge des contentieux relatifs aux litiges commerciaux, recouvrement de créances, droit de la consommation, droit bancaire, cautionnement, procédures collectives.

Par ailleurs, elle a développé une activité spécifique de droit équin, qu’il s’agisse des procédures judiciaires liées à des mises en jeu de responsabilité, à des ventes de chevaux, relations contractuelles, assurances, indivision, troubles de voisinage…ou qu’il s’agisse de conseils auprès de cavaliers, gérants d’écuries et entraineurs de galopeurs ou trotteurs consistant notamment dans la rédaction de contrats de vente, contrats commerciaux, de sponsoring, de mise en demeures.