Miss & Mister France : participant(e) d'un jeu ou salarié(e)?

   
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« Miss France 2022: Les 29 candidates auront un contrat de travail »[1]. Cette information est reprise depuis quelques jours par la presse. Les candidates ne seraient donc plus les participantes d’un jeu mais des salariées.

 

Aurélien Touzet, avocat associé en droit social, nous explique les coulisses de ce changement.  

 

L’affaire « Mister France 2003 »

 

Pour comprendre le débat relatif à l’élection de Miss France 2022, il faut revenir sur l’élection de Mister France 2003.

 

 

Le gagnant de l’élection de Mister France 2003 a contesté la qualification du contrat qu’il avait signé avec TF1 Production. Ce contrat était alors qualifié de « règlement participants ». En dépit du titre de ce document, Mister France estimait qu’il avait été, en réalité, salarié de TF1 Production.

 

 

En 2011[2], la Cour d’appel de Versailles a fait droit à sa demande et a requalifié la relation entre Mister France et TF1 Production en contrat de travail. En 2013, la Cour de cassation a validé l’analyse de la Cour d’appel[3].

 

 

Pourquoi Mister France était en réalité un salarié de TF1 Production ?

 

La Cour d’appel a tout d’abord rappelé que ni la volonté des parties, ni le titre du contrat ne détermine l’existence (ou non) d’un contrat de travail. Ainsi, le titre du document signé par Mister France 2003, à savoir « règlement participants » n’empêche pas les juges de rechercher si, en pratique, il existait un contrat de travail entre les parties.

 

 

La Cour d’appel a ensuite constaté que :

 

- La relation entre les parties portait sur l’organisation d’un concept d'émission TV et non une compétition ayant une existence propre, organisée de manière autonome.

 

- Les participants étaient sous l'autorité du producteur qui disposait d'un pouvoir de sanction.

 

- Les participants s’engageaient à respecter des instructions en matière de :

- participation aux répétitions et à l'émission pendant huit jours

- lieux de restauration et d'hébergement

- participation aux interviews au cours de l'émission

- respect des chorégraphies choisies par le producteur…

 


Ces éléments ont conduit la Cour d’appel à constater que Mister France a exécuté une prestation de travail, sous la subordination de la société TF1 Production. Cette prestation avait pour objet la production d'un bien ayant une valeur économique (l’émission TV).

 

 

L’affaire Mister France est-elle transposable à l’élection de Miss France ?

 

La décision de la Cour de cassation dans l’affaire Mister France 2003 n’est pas automatiquement transposable à l’élection de Miss France en 2022.

 

 

Pour qu’une juridiction parvienne à la même conclusion, il conviendrait tout d’abord de rechercher s’il existe un lien de subordination entre la société Miss France et chacune des participantes (pour les prestations hors émission TV) et/ou entre Endemol et les participantes (pour les prestations exécutées pour l’émission TV).

 

 

Par ailleurs, à la différence de l’élection de Mister France 2003 telle que décrite par la Cour de cassation, l’élection de Miss France n’est pas uniquement une émission de télévision. Il s’agit également d’une compétition qui débute bien avant la préparation de l’émission de télévision et semble gérée de manière autonome.

 

 

Pourquoi les participantes à l’élection de Miss France 2022 ne seront salariées que pour la durée l’émission de TV ?

 

Suite à une procédure judiciaire initiée contre Endemol et la société Miss France[4], cette dernière a annoncé que les participantes bénéficieront d’un contrat de travail pour la seule durée de l’émission de TV[5].

 

 

Pour autant, on peut s’interroger sur la période de préparation de l’émission : les participantes ne sont-elles pas subordonnées à la société Miss France ou Endemol avant la soirée télévisée?

 

 

La Présidente de la société Miss France aurait indiqué : « On a travaillé sur la ligne éditoriale de l’émission de cette année. Cela aura des conséquences juridiques ». Compte tenu de la décision de limiter la durée du contrat de travail à la seule durée de l’émission TV, cela signifie probablement que les modifications de la « ligne éditoriale » ont pour objectif d’éviter que naisse un lien de subordination entre les participantes et la société Miss France ou Endemol.

 

 

Ces mesures seront-elles suffisantes ? Il n’est pas certain que les contraintes de production d’une émission de TV puissent le permettre.  Par ailleurs, dans l’affaire Mister France, le lien de subordination a été qualifié pour la durée de l’émission mais aussi pour la période préparatoire (répétition).

 

 

Quoi qu’il en soit, seule une contestation par une participante de cette édition 2022 ou de l’administration (URSSAF) pourrait permettre à une juridiction de trancher la question.

 

 

Est-ce une situation isolée ?

 

Mister France 2003 n’est pas le seul participant d’une émission TV qui a sollicité et obtenu une requalification de sa prestation en contrat de travail. Des décisions similaires ont été prononcées concernant des participants d’autres émissions telles que l’île de la tentation[6], Koh Lanta[7] ou bien encore Pékin Express.[8]

 

 

Les participants de ces émissions ne sont plus simples joueurs et deviennent salariés lorsque les conditions de déroulement de l’émission font naitre un lien de subordination entre les participants et les sociétés de production : bible décrivant le déroulement des journées, succession d'activités filmées imposées, mises en scènes répétées, le choix des vêtements, des horaires imposés…

 

 

Le raisonnement appliqué dans ces affaires n’est pas spécifique aux émissions de TV. Quelle que soit la nature de la prestation réalisée et le titre du contrat (contrat de prestation, jeu, règlement de participation…), les tribunaux peuvent rechercher l’existence d’un lien de subordination et procéder à une requalification à la demande des parties ou de l’administration notamment.

 

 

La même analyse juridique a été notamment appliquée dans les affaires opposants les livreurs de repas et les plateformes de mise en relation entre les restaurants et les consommateurs.[9]

 

 

Que faut-il retenir ?

 

Le salarié est celui qui accomplit un travail sous un lien de subordination, celui-ci étant caractérisé par :

- L’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur

- L’employeur a le pouvoir de donner des ordres et des directives,

- Il a également le pouvoir d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements.

 

 

L’existence d’un contrat de travail ne dépend pas du titre ou du contenu du contrat ou de la volonté de parties.

 

 

 

 

Publié le 2 décembre 2021

 

 

 

 

 

[2] Cour d'appel de Versailles, du 13 décembre 2011

[3] Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 25 juin 2013, 12-13.968,

[6] Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 3 juin 2009, 08-40.981, 08-40.982, 08-40.983, 08-41.712, 08-41.713, 08-41.714.

[7] Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 25 juin 2013, 12-17.660.

[8] Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 4 février 2015, 13-25.621, 13-25.622, 13-25.623, 13-25.624, 13-25.625, 13-25.626.

[9] Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 28 novembre 2018, 17-20.079 - Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 4 mars 2020, 19-13.316

A propos de l'auteur

Photo de Aurélien  TOUZET

Avocat au Barreau d'ANGERS DESS Droit et Gestion de l’Entreprise Chargé d’enseignement à l’IUT d’Angers Titulaire d’un DESS Droit et Gestion de l’Entreprise,... En savoir +

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Aurélien TOUZET

Avocat au Barreau d'ANGERS

DESS Droit et Gestion de l’Entreprise
Chargé d’enseignement à l’IUT d’Angers

Titulaire d’un DESS Droit et Gestion de l’Entreprise, Aurélien TOUZET a prêté serment en fin d’année 2003 et a rejoint le Cabinet LEXCAP au début de l’année 2005, après une première expérience au sein d’un autre Cabinet implanté au niveau national.Il exerce son activité exclusivement en droit Social.

Au sein de l’équipe de droit Social du cabinet, le champ d’intervention d’Aurélien TOUZET est celui du contentieux.

A ce titre, il assiste les entreprises, associations et salariés auprès des juridictions, notamment prud’homales, dans le cadre de litiges individuels et/ou collectifs.

Il a également développé une activité d’enseignement auprès de l’IUT d’Angers où il dispense aux étudiants des cours relatifs au droit du Travail.

Aurélien TOUZET est avocat associé au sein de la SELARL LEXCAP depuis le 1er octobre 2015.

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