Quelles armes juridiques pour lutter contre les actes de mutilation et de cruauté ?

   
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A l’heure où le bien-être animal est au cœur des préoccupations des professionnels du cheval, la filière se trouve confrontée à un problème d’une extrême gravité.

 

 

Les actes de cruauté et de mutilation dont sont victimes les chevaux se multiplient en France, provoquant une véritable psychose.

 

 

Ainsi plus de 150 enquêtes sont actuellement en cours, sans qu’il soit possible de déterminer encore les raisons de ces actes gratuits, inqualifiables et d’une extrême violence !

 

 

Défi internet macabre, haine irraisonnée des chevaux, rite satanique, toutes les hypothèses sont envisagées aussi invraisemblables et stupides soient-elles !

 

 

Plus de 50 cas sont avérés comme ne pouvant avoir une cause accidentelle ou être l’œuvre d’animaux prédateurs.

 

 

Dans les deux tiers des cas, on constate que les oreilles ont été coupées, de préférence l’oreille droite, ou que les yeux ont été touchés avec des énucléations, ou que les flancs ou la croupe ont été lacérés à l’aide d’une arme blanche.

 

 

Le phénomène n’est malheureusement pas nouveau puisque de tels agissements criminels ont déjà été commis aux États-Unis dans le Midwest dans les années 1970, ou plus tard en Angleterre et en Allemagne.

 

 

Il n’est d’ailleurs pas rassurant de constater que les enquêtes diligentées dans ces pays n’ont jamais pu aboutir !

 

 

On comprend dans ces conditions l’exaspération que ressentent de nombreux détenteurs de chevaux, prêts à tout pour sauvegarder l’intégrité de leurs protégés.

 

 

Pour autant, comme l’a souligné Monsieur Philippe AUDIGÉ, président du Groupement Hippique National, il ne faut surtout pas tomber dans la tentation de se faire justice à soi-même !

 

 

Il est en effet fort peu probable que puisse être retenu l’état de légitime défense exclu en matière d’homicide volontaire et qui suppose que l’acte de riposte soit strictement nécessaire et proportionné à l’attaque. (Article 122-5 du code pénal).

 

 

Mieux vaut donc sans tenir à des mesures juridiques qui peuvent être envisagées à la fois à titre préventif et répressif.

 

Les mesures préventives :

 

Le ministère de l’intérieur s’est mobilisé et a fait appel à l’IFCE pour constituer une cellule de crise destinée à aider les propriétaires d’équidés.

 

 

A été ouvert un numéro vert : 0800 738 908 auquel chacun peut avoir recours.

 

Les détenteurs sont invités à aller plus souvent surveiller leurs chevaux dans les prés, à leur enlever leur licol, à signaler auprès des gendarmes tout fait qui paraît anormal, et au besoin à s’équiper de « caméras de chasse », permettant une meilleure surveillance.

 

 

Pour autant ces mesures peuvent paraître bien dérisoires face à un ennemi invisible qui peut frapper à tout moment et en n’importe quel lieu.

 

 

Mais, même si ces mesures ne peuvent pas empêcher des actes de cruauté, il reste que ce doit être l’occasion pour les détenteurs d’équidés de s’interroger sur leur responsabilité éventuelle et donc leur couverture d’assurance.

 

 

L’assurance responsabilité civile :

 

 

Rappelons en effet qu’en leur qualité de dépositaires, pèse sur les entraîneurs, pré-entraîneurs, et autres détenteurs d’équidés, une présomption de faute en cas d’accident survenu aux chevaux qui leur sont confiés.

 

 

Leur responsabilité sera donc engagée à l’égard des propriétaires des chevaux accidentés, s’ils n’arrivent pas à démontrer leur absence de faute.

 

 

Certes la Cour de cassation (Arrêt du 1er octobre 1997) a exclu la responsabilité du dépositaire gardien dès lors que "l’accident dans lequel se trouvait impliqué l’animal, ayant pour cause un acte de malveillance d’un tiers qui a été perpétré de nuit, à l’insu du gardien, lequel ne pouvait en pallier les conséquences, a constitué pour ce un lui-ci un événement imprévisible et irrésistible."

 

 

Mais faut-il encore que l’enquête révèle de façon certaine l’existence d’un acte criminel, et que ne puisse pas être reproché aux dépositaires un défaut de surveillance ou de n’avoir pas enlever le licol.

 

 

C’est pourquoi il ne faut négliger aucun détail et, au besoin, en cas de décès de l’animal, solliciter une autopsie permettant de déterminer les causes de sa mort.

 

 

En tout cas il est indispensable devant un tel risque de voir sa responsabilité engagée, de vérifier les garanties offertes par le contrat d’assurance responsabilité civile professionnelle notamment quant au montant assuré pour les chevaux confiés.

 

 

L’assurance dommage :

 

 

De même, tout propriétaire d’équidés doit se poser avec acuité la question de l’opportunité de souscrire une assurance dommages pouvant couvrir les risques de mortalité, d’invalidité et des frais vétérinaires.

 

 

Certes, les primes résultant de ces garanties sont onéreuses, mais, face au danger actuel, il est bon au moins de se renseigner auprès de son assureur.

 

 

Rappelons à ce sujet que plutôt qu’une valeur déclarée lors de la souscription du contrat, laquelle risque fort d’être discutée par l’assureur en cas de sinistre en fonction notamment des performances du cheval victime, il est préférable de souscrire un contrat avec une valeur agréée.

 

 

Cette valeur agréée est fixée d’un commun accord par le souscripteur du contrat et l’assureur et servira de base à l’indemnisation en cas de sinistre.

 

 

Bien sûr ces mesures préventives ne permettent malheureusement pas d’éviter le risque, mais au moins elles permettent d’être moins démuni devant de tels actes de cruauté !

 

 

Les mesures répressives :

 

Il existe un véritable arsenal répressif dans notre droit prévu dans le code rural et le code pénal.

 

 

Tout d’abord l’article L214-1 du code rural dispose que " tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce."

 

 

C’est là la reconnaissance officielle, consacrée également par le Code civil en 2015, que l’animal est un être vivant doué de sensibilité, ce qui le distingue des biens meubles.

 

 

Autrement dit la loi confère à l’animal un véritable statut juridique, même si hélas son régime juridique reste à élaborer, s’apparentant toujours à celui d’un bien.

 

 

Quant à l’article L 214 -3 du code rural, il interdit d’exercer de mauvais traitements envers les animaux.

 

 

Enfin l’article R 215-4 du code rural puni d’une amende de quatrième classe le fait de priver de nourriture ou d’abreuvement nécessaire à sa subsistance, un animal, de le laisser sans soins en cas de maladie ou de blessures, de le placer ou le maintenir dans un habitacle inapproprié, ou d’utiliser un système d’entrave ou de contention non nécessaire.

 

 

De son côté le code pénal fait la distinction entre contraventions et délits.

 

 

Il retient trois contraventions :

 

–Constitue une contravention de troisième classe le fait, par maladresse négligence inattention ou imprudence, d’occasionner la mort ou la blessure d’un animal (article R 653-1 du code pénal).

 

-Constitue une contravention de quatrième classe le fait sans nécessité d’exercer volontairement des mauvais traitements à un animal (article R654-1 du code pénal).

 

-Constitue une contravention de cinquième place le fait sans nécessité de donner volontairement la mort à un animal domestique (article R 655-1 du code pénal).

 

 

Les montants actuels sont les suivants :

–pour une amende de troisième classe : 450 € au plus.

–pour une amende de quatrième classe : 750 € ou plus

–pour une amende de cinquième classe : 1500 euros au plus et 3000 € en cas de récidive.

 

 

Quant à l’article 521–1 du code pénal, il réprime le fait publiquement ou non d’exercer des sévices graves, ou des actes de nature sexuelle, ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique ou apprivoisé ou tenu en captivité.

 

 

Est également puni des mêmes peines l’abandon d’un animal domestique.

 

 

Il s’agit d’un délit puni actuellement de 2 ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende.

 

 

Certes, d’aucuns considèrent que les peines prévues pour ce délit sont bien légères et inadaptées à la cruauté des actes commis contre les chevaux.

 

 

Mais il faut prendre garde de ne pas participer à une sorte de "course à l’échalote", en pratiquant la surenchère !

 

 

C’est ainsi que nos députés rivalisent de propositions pour punir plus sévèrement les auteurs de ses actes de cruauté.

 

 

Deux députés LR Damien ABAD et Éric WOERTH ont proposé en septembre de durcir les sanctions pénales en passant de 2 à 3 ans de prison et de 30 000 à 45 000 € d’amende.

 

 

Quant au groupe LREM, il a fait encore plus fort en proposant d’infliger pour le délit de sévices graves et cruauté, des peines allant jusqu’à 4 ans de prison et 60 000 € d’amende !

 

 

Toutefois le problème ne nous semble pas d’appliquer la loi du talion, ou d’en revenir à une sorte de justice pénale médiévale, en coupant le bras des auteurs de mutilations sur les chevaux.

 

 

Il faudrait déjà que la justice applique les lois existantes dans toute leur rigueur, ce qui n’a manifestement pas toujours été le cas.

 

 

Ainsi en présence de chevaux abandonnés dans un bourbier, sans eau ni nourriture, avec des des lésions de grattage dues à la présence de poux, la Cour de Cassation avait considéré que la preuve de l’intentionnalité de donner la mort n’était pas rapportée.

 

 

C’est ainsi que la Cour a considéré que les faits devaient être qualifiés de mauvais traitements, c’est-à-dire d’une simple contravention et non d’acte de cruauté ou de sévices graves, c’est-à-dire du délit. (Cour de Cassation 4 mai 2010).

 

 

Il semble néanmoins que la justice ait pris la mesure de la gravité des infractions à l’encontre des animaux, comme le prouve l’arrêt rendu par la Cour de Cassation le 31 mai 2016 :

 

 

Ainsi la cour a considéré qu’en présence de chevaux présentant un état de maigreur inquiétant, d’un cadavre de poney, d’animaux privés d’eau et de nourriture avec des plaies et blessures non soignées et des litières nauséabondes, c’était bien le délit d’abandon réprimé par l’article 521–1 du code pénal qui devait être appliqué, et non la simple contravention prévue à l’article R 654-1 du code pénal.

 

 

L’auteur de ces faits a été condamné en cause d’appel à 4 mois de prison avec sursis et surtout une interdiction définitive de détenir des équidés, en application de l’article 521-1 alinéa 3 du code pénal.

 

 

La vraie difficulté aujourd’hui est bien d’identifier les coupables, qui encoureraient en cas de condamnation une peine de prison ferme de 2 ans et une amende de 30 000 €.

 

 

Il faut donc peut-être davantage réfléchir aux moyens humains et matériels à mettre en œuvre pour arrêter les coupables plutôt que d’envisager de modifier la loi.

 

 

Signalons enfin que l‘Institut de Droit Équin, l’IDE, organise une demi-journée de formation le :

 

Mercredi 28 octobre prochain, de 13h30 à 17h30 en vidéo-conférence, Portant sur le bien-être des équidés, qui permettra de réfléchir aux enjeux et perspectives des actes de cruauté actuellement commis et de recueillir l’avis de Vétérinaires et de juristes sur cette difficile question.

 

 

Cette Visio conférence sera enregistrée et pourra être téléchargée a posteriori. Renseignements au 05.55.45.76.30 www.institut-droit-equin.fr.

A propos de l'auteur

Photo de Sophie  BEUCHER

Avocat au Barreau d'ANGERS DESS droit des entreprises Membre de l’Institut du Droit Equin Chargée d’enseignement au pôle universitaire du saumurois Diplômée... En savoir +

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Photo de Sophie BEUCHER

Sophie BEUCHER

Avocat au Barreau d'ANGERS

DESS droit des entreprises
Membre de l’Institut du Droit Equin
Chargée d’enseignement au pôle universitaire du saumurois

Diplômée d’un DESS droit des entreprises dispensé par la Faculté de Droit d’Angers, Sophie BEUCHER a intégré le Cabinet LEXCAP en 2004 en qualité de juriste.

Après avoir obtenu son diplôme professionnel par équivalence, elle s’est inscrite au Barreau d’Angers en 2009 tout en poursuivant sa collaboration avec le Cabinet LEXCAP et plus particulièrement avec Thierry BOISNARD dans le domaine du contentieux commercial.

Elle fait partie de l’équipe du secteur contentieux commercial qui intervient dans tous les domaines du droit des affaires.

Sophie BEUCHER est plus particulièrement en charge des contentieux relatifs aux litiges commerciaux, recouvrement de créances, droit de la consommation, droit bancaire, cautionnement, procédures collectives.

Par ailleurs, elle a développé une activité spécifique de droit équin, qu’il s’agisse des procédures judiciaires liées à des mises en jeu de responsabilité, à des ventes de chevaux, relations contractuelles, assurances, indivision, troubles de voisinage…ou qu’il s’agisse de conseils auprès de cavaliers, gérants d’écuries et entraineurs de galopeurs ou trotteurs consistant notamment dans la rédaction de contrats de vente, contrats commerciaux, de sponsoring, de mise en demeures.