Le devoir d'information du vétérinaire équin

   
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Proportionnellement au nombre considérable d’interventions des vétérinaires équins, les litiges relatifs à leurs interventions restent limités.

 

Toutefois les mises en cause de la responsabilité du vétérinaire deviennent fréquentes, le fait que le vétérinaire soit assuré en responsabilité civile professionnelle n’y étant pas étranger.

 

La première obligation du vétérinaire est évidemment son obligation de soins : il doit poser le bon diagnostic et apporter la meilleure thérapie.

 

Le principe est constant : le vétérinaire, tout comme le médecin, doit apporter des soins consciencieux, attentifs, et conformes aux données acquises de la science vétérinaire.

 

Il s’agit là d’une obligation de moyen susceptible de mettre en jeu la responsabilité contractuelle du vétérinaire en cas de manquement.

 

Cette obligation sera appréciée d’autant plus sévèrement par les Tribunaux s’il s’agit d’une intervention de convenance ou de confort, comme par exemple une castration. ( Cf. par exemple Arrêt de la Cour de Riom du 25 novembre 2015 bulletin JURIDEQUI N°81 mars 2016.)

 

Mais, à côté de l’obligation de soins pour laquelle la responsabilité du vétérinaire est rarement engagée, s’est développée depuis plusieurs années, une autre obligation fréquemment retenue par les Tribunaux : l’obligation d’information du vétérinaire.

 

Reste à en déterminer les contours et les conséquences.

 

A- la teneur du devoir d’information :

 

L’information que doit donner le vétérinaire à son client doit être claire, loyale et appropriée.

 

Le vétérinaire doit éviter un langage trop technique et adapter ses informations au cas précis qui lui est soumis.

 

L’information doit permettre au client de connaître les divers diagnostics envisagés, les différentes possibilités thérapeutiques et les principaux risques inhérents aux thérapies proposées.

 

Le vétérinaire doit ainsi, comme le précise le code de déontologie des vétérinaires (article R.242-48), recueillir le consentement éclairé de ses clients.

 

Mais de son côté, le client doit fournir tous les éléments dont il a connaissance et qui peuvent aider le vétérinaire à poser son diagnostic et choisir la thérapie.

 

Un élément est fondamental : Si pour l’obligation de soins, c’est au client de démontrer la faute du vétérinaire pour engager sa responsabilité, en revanche au titre du devoir d’information, c’est au vétérinaire de démontrer qu’il a bien rempli son obligation.

 

Autrement dit, si l’information peut être verbale, le vétérinaire a tout intérêt à délivrer un écrit pour prouver qu’il a bien informé son client.

 

Cet écrit ne doit pas être en termes trop généraux et doit être remis avant l’intervention du vétérinaire.

 

L’information doit être complète, notamment pour tous les risques graves, même extrêmement rares, engendrés par tel ou tel soin.

 

Le vétérinaire ne pourra s’en dispenser qu’en cas de circonstances exceptionnelles comme une urgence absolue à intervenir.

 

Enfin le vétérinaire doit s’assurer que son interlocuteur est habilité à donner son consentement aux soins envisagés.

 

Or il s’agit d’une difficulté supplémentaire car très souvent ce n’est pas le propriétaire du cheval qui fait appel au vétérinaire, mais la plupart du temps l’entraîneur ou même l’un de ses subordonnés.

 

Le vétérinaire peut alors faire certifier par son interlocuteur qu’il a bien reçu mandat de faire soigner le cheval, et accessoirement que c’est lui ou son employeur qui prendra en charge le coût des soins.

 

Cette obligation d’information est donc contraignante pour le vétérinaire, et peut évidemment être source de mise en jeu de sa responsabilité.

 

B- les domaines d’application du devoir d’information :

 

Les cas où la responsabilité du vétérinaire est recherchée au titre de son devoir d’information sont multiples et variés, et l’on se contentera d’évoquer 3 domaines principaux :

 

1/ Tout d’abord un des domaines les plus fréquents concerne les visites d’achat pour lesquelles le vétérinaire doit être particulièrement vigilant.

 

Sa responsabilité risque en effet d’être recherchée tant par l’acheteur que par le vendeur.

 

Citons, par exemple, l’Arrêt de la Cour de Rennes du 4 juin 2021, qui retient les responsabilités partagées par moitié entre le vendeur et le vétérinaire qui ont tous deux caché à l’acquéreur le fait que le cheval avait subi un examen antérieur au CIRALE révélant une arthropathie.

 

Le vétérinaire s’était contenté de signaler des signes de dorsalgie modérée "qu’il semble bien tolérer ".

 

De même engage sa responsabilité le vétérinaire qui retient à tort l’existence d’une maladie naviculaire, en définitive inexistante, ce qui n’a pas permis au vendeur de poursuivre la vente. (Arrêt de la Cour de DOUAI du 18 novembre 2021).

 

2/ Un autre domaine d’application assez fréquent concerne les produits dopants et les délais de rémanence.

 

Le vétérinaire doit indiquer quels sont les délais de rémanence liés au produits considérés comme dopants administrés au cheval.

 

En ce sens, la responsabilité du vétérinaire est engagée alors qu’il avait indiqué sur son ordonnance un délai de rémanence de 21 jours après avoir réalisé des infiltrations sur un cheval de course alors que le cheval a été contrôlé positif 30 jours après le traitement. Le vétérinaire est condamné à réparer le préjudice du fait de la disqualification, de la suspension du cheval, des amendes à régler, de la perte de chance de gagner des courses pendant la suspension, du préjudice moral lié à l'atteinte à l'honneur et de la restitution du prix de la course gagnée.(Cour d’Appel de Toulouse 02 septembre 2010).

 

 

De même, dans un litige jugé par la Cour de Caen (Arrêt du 7 décembre 2021), il était reproché au vétérinaire un manque d’information, car un trotteur réputé fut disqualifié à la suite d’un contrôle s’avérant positif après une infiltration de BETNESOL.

 

Mais, la Cour a rejeté la demande en relevant que le vétérinaire avait "respecté son devoir d’information, en précisant à titre indicatif le délai de rémanence sur son rapport de consultation et en informant le détenteur de sa possibilité de faire procéder à une analyse de dépistage."

 

Là encore le vétérinaire doit donc être très prudent quant au délai d’élimination et inciter son interlocuteur à faire procéder à une analyse avant de l’engager en course.

 

3/ enfin le devoir d’information est essentiel dans le domaine des opérations chirurgicales et d’anesthésies.

 

C’est vrai par exemple en matière de castration où le vétérinaire doit exposer les différentes techniques possibles et les risques de chacune (castration debout , couché au boxe , ou à la clinique etc…) ; Mais cette obligation ne concerne pas que les opérations de confort.

 

Ainsi, deux Arrêts de la Cour d’Aix en Provence ont retenu récemment la responsabilité des vétérinaires.

 

1-Le vétérinaire avait préconisé une intervention chirurgicale pour une fêlure sur l’un des postérieurs.

 

Or pendant la phase de réveil, la pouliche s’était gravement blessée en tentant de se lever et avait dû être euthanasiée.

 

Le vétérinaire n’a commis aucune faute dans les soins prodigués, mais sa responsabilité est retenue au titre du devoir d’information, car il aurait dû préciser au propriétaire qu’il existait une autre solution, à savoir plâtrer la pouliche plutôt que l’opérer, ce qui lui aurait permis sinon de recourir, du moins de faire une carrière de poulinière. (Arrêt du 10 septembre 2020).

 

2-Un trotteur âgé de 3 ans présentait une douleur au niveau du sacrum.

 

Le vétérinaire a préconisé une infiltration, mais a, auparavant, réalisé une échographie transrectale pour localiser le site précis de la douleur et rendre l’infiltration plus efficace.

 

Le cheval a été victime au cours de cet examen d’une lacération du rectum et a dû être euthanasié.

 

Là encore aucune faute n’est retenue au titre des soins, mais la responsabilité du vétérinaire est engagée pour n’avoir pas informé le propriétaire des risques mêmes faibles d’une échographie transrectale.

 

Au vu de ces décisions, on comprend pourquoi les vétérinaires peuvent paraître parfois un peu trop pointilleux et formalistes !

 

C- les conséquences pécuniaires :

 

Si la responsabilité du vétérinaire est retenue au titre d’un manquement au devoir d’information, reste à déterminer les conséquences pécuniaires que cela peut engendrer.

 

Les Juridictions considèrent que ce n’est pas une réparation intégrale du préjudice qui peut être réclamée (par exemple la valeur du cheval en cas de décès), mais simplement la perte de chance.

 

Autrement dit, s’il avait été bien informé, quelle aurait été la décision du propriétaire ?

 

Par exemple, aurait -t’il choisit une autre technique de castration, ou de ne pas faire opérer son cheval etc…?

 

La justice va alors apprécier, souvent de façon forfaitaire, le pourcentage de chance perdue par le propriétaire ou détenteur pour l’indemniser.

 

Ainsi, la Cour d’AIX en Provence, dans les 2 Arrêts précités, a évalué la perte de chance à 30% (dans le premier cas de la valeur de la pouliche en tant que future poulinière, et dans le second, de la valeur du cheval avant échographie.)

 

En tout cas, l’indemnisation ne sera accordée que si l’existence d’un lien de causalité est établie entre le préjudice allégué qui doit être certain et le défaut d’information reproché.

 

En conclusion, il faut faire confiance à son vétérinaire, mais celui-ci doit veiller au consentement éclairé de son client pour s’éviter tout tracas judiciaire.

A propos de l'auteur

Photo de Sophie  BEUCHER

Avocat au Barreau d'ANGERS DESS droit des entreprises Membre de l’Institut du Droit Equin Chargée d’enseignement au pôle universitaire du saumurois Diplômée... En savoir +

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Droit commercial Droit rural & droit équin
Photo de Sophie BEUCHER

Sophie BEUCHER

Avocat au Barreau d'ANGERS

DESS droit des entreprises
Membre de l’Institut du Droit Equin
Chargée d’enseignement au pôle universitaire du saumurois

Diplômée d’un DESS droit des entreprises dispensé par la Faculté de Droit d’Angers, Sophie BEUCHER a intégré le Cabinet LEXCAP en 2004 en qualité de juriste.

Après avoir obtenu son diplôme professionnel par équivalence, elle s’est inscrite au Barreau d’Angers en 2009 tout en poursuivant sa collaboration avec le Cabinet LEXCAP et plus particulièrement avec Thierry BOISNARD dans le domaine du contentieux commercial.

Elle fait partie de l’équipe du secteur contentieux commercial qui intervient dans tous les domaines du droit des affaires.

Sophie BEUCHER est plus particulièrement en charge des contentieux relatifs aux litiges commerciaux, recouvrement de créances, droit de la consommation, droit bancaire, cautionnement, procédures collectives.

Par ailleurs, elle a développé une activité spécifique de droit équin, qu’il s’agisse des procédures judiciaires liées à des mises en jeu de responsabilité, à des ventes de chevaux, relations contractuelles, assurances, indivision, troubles de voisinage…ou qu’il s’agisse de conseils auprès de cavaliers, gérants d’écuries et entraineurs de galopeurs ou trotteurs consistant notamment dans la rédaction de contrats de vente, contrats commerciaux, de sponsoring, de mise en demeures.