Vente en ligne de médicaments

   
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La CJUE s’est prononcée le 1er octobre 2020 sur la compatibilité du droit français encadrant la vente de médicaments en ligne par des pharmaciens et le droit de l’Union en ce qu’il instaure une liberté de prestation sur internet et libre circulation des marchandises.

 

A. QUEL EST L’ORIGINE DU LITIGE ?

 

Une société de pharmaciens domiciliée aux Pays Bas exploite plusieurs sites internet de vente de médicaments (non soumis à prescription médicale) et de produits de parapharmacie. L’un de ces sites internet vise les consommateurs français.

 

 

Pour promouvoir son site et ses produits auprès des consommateurs français, cette société a recours à plusieurs procédés :

 

- L’insertion de prospectus publicitaires dans les colis d’autres professionnels de la vente à distance (« asilage ») et l’envoi de courriers postaux publicitaires.

 

- Elle accorde des remises aux consommateurs à partir d’un certain montant de commande de médicaments.

 

- Elle a recours aux référencements payants sur les moteurs de recherche

 

- Enfin, avant toute commande, le site internet ne sollicite pas d’information concernant la santé et les antécédents du client.

 

B. QUELS SONT LES ARGUMENTS DES PARTIES ?

 

Les professionnels français de la pharmacie estiment que ces pratiques sont contraires aux règles au droit français interdisant aux pharmaciens :

  •  

- De solliciter les clients par des procédés contraires à la dignité de la profession de pharmacien (article R4235-22 du Code de la santé publique)

- D’inciter les clients à consommer des médicaments de manière abusive (article R4235-64 du Code de la santé publique)

- De vendre sur internet des médicaments sans subordonner la validation de toute commande au remplissage par le client d’un questionnaire concernant sa santé et ses antécédents (arrêté relatif aux bonnes pratiques de dispensation des médicaments.)

- De recourir au référencement payant sur les moteurs de recherche (arrêté relatif règles techniques applicables aux sites internet de commerce de médicaments)

 

En se dispensant de respecter les règles applicables en France, la société néerlandaise obtiendrait un avantage concurrentiel de manière déloyale.

 

La société néerlandaise estime à titre principal que son activité de vente en ligne n’est pas soumise au droit français car elle est domiciliée aux Pays-Bas et que son site internet est soumis à la législation de son pays.

 

A titre subsidiaire, elle précise qu’en toute hypothèse et à supposer que le droit français soit applicable à son activité, celui-ci n’est pas conforme aux droits de l’Union et notamment la libre circulation des produits et services (article 34 TFUE), la Directive 2001/83 sur la vente à distance et la Directive 2000/31 relative aux services de la société de l’information.

 

La Cour d’appel de Paris, saisi du litige entre les deux parties, décide d’interroger la CJUE afin de déterminer si le droit français est compatible avec le droit de l’Union.

 

C. LA REPONSE DE LA CJUE

 

La Cour étudie successivement les quatre pratiques mises en œuvre par la société néerlandaise :

 

1. L’insertion de prospectus publicitaires dans les colis d’autres professionnels de la vente à distance (« asilage ») et l’envoi de courriers postaux publicitaires.

 

La CJUE reconnait que cette interdiction posée par le Code de la santé publique constitue une restriction à la libre prestation des services sur internet. Elle rappelle néanmoins que de telles restrictions sont autorisées pour préserver un intérêt général impérieux.

 

L’interdiction de l’usage intensif de publicité et l’interdiction des publicités agressives vise à protéger la dignité de la profession de pharmacien et partant, à préserver la santé publique.

 

La CJUE considère qu’il s’agit d’un motif d’intérêt général permettant de limiter la liberté de prestation des services sur internet. Elle précise cependant que cette interdiction d’envoyer aux consommateurs des publicités de manière massive ou des publicités agressives ne doit pas aboutir à empêcher les pharmaciens d’effectuer toute publicité à l’extérieur de leurs officines.

 

2. Accorder des remises aux consommateurs à partir d’un certain montant de commande de médicaments.

 

La CJUE estime que ce type de pratique est de nature à inciter les consommateurs à surconsommer des médicaments. La lutter contre la surconsommation ou consommation inappropriée de médicaments est un objectif de santé publique qui permet de limiter la liberté de prestation de service sur internet.

 

La CJUE ajoute toutefois que l’interdiction d’accorder de telles offres promotionnelles ne peut s’appliquer aux « simples produits de parapharmacie ».

 

3. Vendre sur internet des médicaments sans subordonner la validation de toute commande au remplissage par le client d’un questionnaire concernant sa santé et ses antécédents.

 

La CJUE reconnait que cette mesure permettant au pharmacien d’interagir avec le client et d’assurer un conseil personnalisé protège le consommateur contre une utilisation inappropriée des médicaments.

 

Le fait que le site ne commercialise que des médicaments non soumis à prescription médicale ne modifie pas l’analyse de la Cour. Si ces médicaments ne présentent pas, en principe, des risques analogues à ceux résultant de la consommation de médicaments soumis à prescription médicale, il n’est pas possible d’exclure tout risque.

 

La Cour conclut que l’ajout d’un tel questionnaire est une mesure acceptable au regard du droit de l’Union, moins attentatoire à la libre circulation des marchandises qu’une interdiction totale de vente en ligne en médicaments.

 

Le droit français qui impose aux pharmaciens d’insérer un questionnaire de santé dans le processus de commande de médicaments en ligne n’est donc pas contraire au droit de l’Union.

 

4. Recourir au référencement payant sur les moteurs de recherche

 

Le Gouvernement français soutient que le référencement payant pour promouvoir des sites internet sur les moteurs de recherche est de nature à affecter la répartition équilibrée des officines de pharmacie sur le territoire national.

 

Si le fait d’assurer un approvisionnement en médicaments de la population de manière sûre et adaptée sur le territoire peut être considéré comme un objectif justifiant une limitation à la libre prestation des services de l’information ; la Cour retient que le Gouvernement français n’apporte pas de preuve d’un risque effectif d’atteinte à la répartition des officines résultant du recours au référencement payant par les sites de vente en ligne de médicaments.

 

La CJUE considère par conséquent que le droit français, en ce qu’il interdit aux sites de vente en ligne de médicaments de recourir au référencement payant sur les moteurs de recherche est contraire au droit de l’Union sauf si, devant les juridictions nationales, le Gouvernement parvient à prouver que cette mesure est nécessaire pour préserver la répartition équilibrée des officines en France.

 

La Cour d’appel de Paris devra tenir compte de la réponse de la CJUE pour juger le litige opposant la société néerlandaise et les professionnels pharmaciens français.

 

Article co-rédigé par Karen BERTELOOT et Flavien MEUNIER

 

A propos de l'auteur

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Avocat   Karen SAMMIER est titulaire d'un Master en Droit de la distribution, de la concurrence et de la consommation obtenu en 2005 ainsi que d’un Master en Droit de la propriété intellectuelle... En savoir +

Expert dans :

Droit commercial Propriété intellectuelle & Nouvelles technologies
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Karen SAMMIER

Avocat

 

Karen SAMMIER est titulaire d'un Master en Droit de la distribution, de la concurrence et de la consommation obtenu en 2005 ainsi que d’un Master en Droit de la propriété intellectuelle et des nouvelles technologies obtenu en 2006, auprès de l’Université du Droit et de la Santé de LILLE II.



Après avoir travaillé en entreprises, en cabinets d’avocats et au sein d’universités, Karen SAMMIER intègre le Cabinet LEXCAP en septembre 2016 et prête serment en 2024.



Au sein d’une équipe spécialisée, les domaines d’intervention de Karen SAMMIER sont plus particulièrement :

 

- Droit de la propriété intellectuelle,

- Droit économique,

- Droit de la distribution,

- Droit de la consommation,

- Droit des contrats,

- Droit de la concurrence,

- Droit des nouvelles technologies.

 

Dans ces domaines, Karen SAMMIER a su notamment développer une compétence particulière dans le secteur des entreprises de distribution (généralistes et spécialisées).