Le covid-19 et l’adaptation des règles applicables devant les juridictions de l’ordre administratif

   
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La loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 habilite le Gouvernement, en son article 11, à prendre dans un délai de trois mois à compter de sa publication, toute mesure pouvant entrer en vigueur à compter du 12 mars 2020, « adaptant, aux seules fins de limiter la propagation de l'épidémie de covid-19 parmi les personnes participant à la conduite et au déroulement des instances, les règles relatives à la compétence territoriale et aux formations de jugement des juridictions de l'ordre administratif et de l'ordre judiciaire ainsi que les règles relatives aux délais de procédure et de jugement, à la publicité des audiences et à leur tenue, au recours à la visioconférence devant ces juridictions et aux modalités de saisine de la juridiction et d'organisation du contradictoire devant les juridictions » (c du 2° du I de l’article 11).

 

Ces mesures trouvent place dans plusieurs ordonnances publiées au journal officiel du 26 mars 2020. L’une d’entre elle est l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif. Elle fait partie des 25 ordonnances adoptées par le gouvernement dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire décrété face à l’épidémie de coronavirus.

 

Cette ordonnance est articulée autour de 2 titres : le premier comporte 13 articles relatifs à l’organisation et au fonctionnement des juridictions ; le second contient 3 articles relatifs aux délais de procédure et de jugement.

 

Les premières dispositions visent à assurer la continuité du service public de la justice administrative malgré la propagation de l’épidémie. Les secondes visent à aménager les délais applicables au justiciable et au juge pour tenir compte des contraintes de la crise sanitaire et notamment du confinement.

 

La modification de l’organisation et du fonctionnement des juridictions pour faire face à la propagation de l’épidémie

 

Le titre 1 de l’ordonnance comporte différentes mesures dérogeant à l’organisation et au fonctionnement des juridictions durant la période comprise entre le 12 mars 2020 et la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l'article 4 de la loi du 22 mars 2020. Elles sont au nombre de 12 :


- les formations de jugement des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel peuvent délibérer en se complétant, en cas de vacance ou d'empêchement, par l'adjonction d'un ou plusieurs magistrats en activité au sein de l'une de ces juridictions, désignés par le président de la juridiction (article 3 de l’ordonnance),

 

- les magistrats ayant le grade de conseiller et une ancienneté minimale de deux ans peuvent être désignés par le président de leur juridiction pour statuer par ordonnance dans les conditions prévues à l'article R. 222-1 du code de justice administrative (article 4 de l’ordonnance), ce qui concerne notamment les ordonnances donnant acte d’un désistement, les ordonnances constatant un non-lieu à statuer,

 

- la communication des pièces, actes et avis aux parties peut être effectuée par tout moyen (article 5 de l’ordonnance),


- le président de la formation de jugement peut décider que l'audience aura lieu hors la présence du public ou que le nombre de personnes admises à l'audience sera limité (article 6 de l’ordonnance),


- les audiences des juridictions de l'ordre administratif peuvent se tenir en utilisant un moyen de télécommunication audiovisuelle permettant de s'assurer de l'identité des parties et garantissant la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges entre les parties et leurs avocats (article 7 de l’ordonnance),


- le président de la formation de jugement peut dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, d'exposer à l'audience des conclusions sur une requête (article 8),


- il peut être statué sans audience, par ordonnance motivée, sur les requêtes présentées en référé (article 9),

 

- par dérogation à l'article R. 222-25 du code de justice administrative, le président de la cour ou le président de chambre peut statuer sans audience publique sur les demandes de sursis à exécution mentionnées aux articles R. 811-15 à R. 811-17 de ce code (article 10),


- la décision de la juridiction administrative peut être rendue publique par mise à disposition au greffe de la juridiction (article 11),


- la minute de la décision peut être signée uniquement par le président de la formation de jugement (article 12),


- lorsqu'une partie est représentée par un avocat, la notification de la décision de la juridiction administrative est valablement accomplie par la seule expédition de la décision à son mandataire (article 13),


- les jugements relatifs aux mesures d'éloignement prise à l'encontre des étrangers placés en centre de rétention ne sont pas prononcés à l'audience (article 14).

 

L’adaptation des délais de procédure et de jugement pour tenir compte des contraintes résultant du confinement

 

Le titre 2 de l’ordonnance comporte 3 mesures dérogeant aux règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.

 

Délais relatifs à la réalisation des actes et des formalités

 

En premier lieu, durant la période comprise entre le 12 mars 2020 et la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire, la prorogation des délais échus trouve à s’appliquer devant les juridictions de l’ordre administratif. Les modalités de cette prorogation sont prévues par l'article 2 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période.

 

Ainsi, « tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d'office, application d'un régime particulier, non avenu ou déchéance d'un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l'article 1er sera réputé avoir été fait à temps s'il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois.


Il en est de même de tout paiement prescrit par la loi ou le règlement en vue de l'acquisition ou de la conservation d'un droit » (article 2 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020).

 

La période de référence pour identifier les actes et formalités concernés est celle qui court entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire : les actes et formalités en cause sont ceux qui doivent accomplis entre le 12 mars 2020 et l'expiration de ce délai d'un mois.

 

Prenons l’exemple d’un recours qui doit être formé dans le délai de 2 mois à l’encontre d’une autorisation d’urbanisme affichée sur le terrain le 15 février 2020. Le recours doit être formé avant le 15 avril 2020. Deux possibilités s’offrent au requérant. Le recours peut être régularisé avant le 15 avril 2020. Le recours peut également être formé jusqu’au terme du délai de 2 mois commençant à courir à l’expiration du délai d'1 mois suivant la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire (à ce jour, l’état d’urgence sanitaire est fixée jusqu’au 24 mai 2020).

 

Lorsque le délai de recours est inférieur à deux mois, ce délai est automatiquement prorogé à compter de l'expiration du délai d'1 mois suivant la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire, pour une durée équivalente au délai fixé par la loi. Lorsque le délai de recours est supérieur à deux mois, ce délai est automatiquement prorogé pour une durée de 2 mois à compter de l'expiration du délai d'1 mois suivant de la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire.

 

Ces règles sont applicables également aux délais de péremption, aux délais de prescription, etc. Elles concernent tout « acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d'office ».

 

N'entrent pas dans le champ de cette mesure :

- les délais dont le terme est échu avant le 12 mars 2020 : leur terme n'est pas reporté ;
- les délais dont le terme est fixé au-delà du mois suivant la date de la cessation de l'état d'urgence sanitaire : ces délais ne sont ni suspendus, ni prorogés.

 

En revanche, ces dispositions dérogatoires ne sont pas applicables (II de l’article 15 de l’ordonnance) :

 

- aux recours contre les obligations de quitter le territoire français, sous certaines réserves, pour lesquels le point de départ du délai de recours est reporté au lendemain de la cessation de l'état d'urgence sanitaire ; il en est de même en ce qui concerne le délai de demande d’aide juridictionnelle formée devant la Cour nationale du droit d'asile ;

 

- aux délais applicables notamment aux procédures relatives à un refus d'entrée sur le territoire français au titre de l'asile, qui ne font pas l’objet d’adaptations,

 

- aux réclamations et aux recours relatifs aux opérations électorales du premier tour des élections municipales organisé le 15 mars 2020 qui peuvent être formés au plus tard à 18 h 00 le 5ème jour qui suit la date de prise de fonction des conseillers municipaux et communautaires élus dès ce tour (fixée par décret au plus tard au mois de juin 2020 dans les conditions définies au premier alinéa du III de l'article 19 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 susvisée ou, par dérogation, aux dates prévues au deuxième ou troisième alinéa du même III du même article).

 

Délais relatifs aux clôtures d’instruction dans les procédures en cours

 

En second lieu, l’ordonnance prévoit que les mesures de clôture d'instruction dont le terme vient à échéance entre le 12 mars 2020 et la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire « sont prorogées de plein droit jusqu'à l'expiration d'un délai d'un mois suivant la fin de cette période, à moins que ce terme ne soit reporté par le juge » (article 16 de l’ordonnance).

 

A titre d’exemple, une clôture d’instruction fixée par un Tribunal administratif, dans une procédure contentieuse, le 18 mars 2020, sera automatiquement reportée, par l’effet de l’ordonnance, un mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire. Le juge pourra en outre reporter cette clôture.

 

Délais relatifs aux décisions à intervenir

 

Enfin, l’ordonnance prévoit que durant cette même période, le point de départ des délais impartis au juge pour statuer est reporté au premier jour du deuxième mois suivant la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire (article 17 de l’ordonnance).

 

Cette mesure ne trouve pas à s’appliquer :

 

- aux délais applicables notamment aux procédures relatives à un refus d'entrée sur le territoire français au titre de l'asile ou aux procédures diligentées par un étranger placé en rétention concernant l'obligation de quitter le territoire français, qui restent inchangés,

 

- aux recours relatifs aux résultats des élections municipales organisées en 2020, le délai imparti au Tribunal administratif pour statuer expirant, sous réserve de l'application de l'article L. 118-2 du code électoral, le dernier jour du quatrième mois suivant le deuxième tour de ces élections.

 

 

A propos de l'auteur

Photo de Jean-François  ROUHAUD

Avocat au Barreau de RENNES Spécialiste en droit public Spécialiste en droit immobilier Qualifications spécifiques en droit de l’urbanisme, droit de l’aménagement,... En savoir +

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Jean-François ROUHAUD

Avocat au Barreau de RENNES

Spécialiste en droit public
Spécialiste en droit immobilier
Qualifications spécifiques en droit de l’urbanisme, droit de l’aménagement, droit de l’expropriation
Chargé d’enseignement à l’Université de Rennes 1
Membre de la commission « urbanisme » de l’Ordre National des Géomètres-Experts

Titulaire d’une maîtrise en droit public, d’un DEA et d’un Magistère en droit de l’urbanisme et de l’environnement obtenus au cours de l’année 2000 à l’Université de Limoges, dans le cadre du Centre de recherche interdisciplinaire en droit de l’environnement, de l’aménagement et de l’urbanisme (CRIDEAU), Jean-François ROUHAUD a débuté son activité professionnelle au sein du Cabinet rennais de LEXCAP duquel il est associé depuis 2012.Il prend en charge les dossiers ayant trait aux droits de l’urbanisme et de l’aménagement, qu’il s’agisse de dossiers de conseil ou de dossiers pré-contentieux ou contentieux. Son activité couvre tous les champs du droit de l’urbanisme : planification (SCOT, PLU, Carte communale, SMVM, Charte de PNR…), urbanisme opérationnel (ZAC, lotissement…), autorisations d’occupation et d’utilisation du sol, fiscalité de l’urbanisme, loi « littoral », préemption et expropriation, urbanisme commercial…

Jean-François ROUHAUD est membre de la commission « urbanisme » de l’Ordre National des Géomètres-Experts, chargé d’examiner les évolutions législatives et réglementaires en la matière. Il est titulaire de la mention légale de spécialisation en droit de l’urbanisme depuis l’année 2009. A la suite de la réforme des mentions de spécialité et depuis l’année 2012, il est titulaire de la mention de spécialité en droit immobilier et de la mention de spécialité en droit public ainsi que des qualifications spécifiques en droit de l’urbanisme, en droit de l’aménagement et en droit de l’expropriation.

Jean-François ROUHAUD prend également en charge les problématiques ayant trait plus spécifiquement au droit de l’environnement, lorsque ces problématiques sont annexes à des opérations d’aménagement et d’urbanisme (droit des études d’impacts, droit des enquêtes publiques…) mais encore lorsqu’il s’agit de dossiers relevant de la sphère purement environnementale (législation sur l’eau, législation installations classées, législation déchets, législation sur les espèces protégées…). Jean-François ROUHAUD participe ainsi de façon régulière à des missions d’assistance et de conseil à l’élaboration de documents de planification : schéma d’alimentation en eau potable, schéma d’aménagement et de gestion des eaux, charte de PNR…

Enfin, il assure une activité de formation auprès de différents organismes (CNFPT, Université, organismes de formations privés…). Il intervient, en droit de l’urbanisme, auprès du Centre régional de formation à la Profession d’Avocats (EDAGO). Il est chargé d’enseignement à l’Université de Rennes I (droit de l’urbanisme et droit de l’environnement).

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