Le pouvoir disciplinaire de la SECF

   
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Un arrêt récent du conseil d’État du 12 octobre 2018 s’est prononcé sur le pouvoir disciplinaire des sociétés mères. Cet arrêt est intéressant car il émane d’une haute juridiction et fait donc autorité, et parce qu’il vient valider, de façon claire, la légitimité et le bien-fondé de ce pouvoir disciplinaire.

 

- Les circonstances de fait du litige :

 

Les faits jugés par le Conseil d’État font penser à cette maxime « à petites causes, grands effets ! ». A l’origine de cette affaire, qui concerne le galop mais est en tous points transposable au monde du trot, un mouvement de protestation est initié par quelques entraîneurs lors de la réunion de course du 4 juillet 2013 sur l’hippodrome de Dax. Mécontents de la réforme par la société mère relative au remboursement des frais de déplacement, ces entraîneurs décident de faire forfait pour les chevaux pourtant engagés dans les courses de cette réunion.

 

Les commissaires des courses réagissent et sanctionnent les entraîneurs en leur infligeant des amendes pour forfaits injustifiés et l’un deux est condamné à six amendes de 1.500 € chacune pour six forfaits.

 

Rappelons que pour le trot, l’article 58 du code prévoit également en cas de forfait non justifié d’un cheval pourtant confirmé dans son engagement, une amende n’excédant pas 500 €.

 

Toujours est-il que l’entraîneur fait appel et que les commissaires de France Galop confirment à nouveau sa culpabilité réduisant les amendes d’un montant variant entre 280 et 600 €.

 

L’intéressé n’en reste pas là et, sans aller devant la commission supérieure, engage un recours devant les juridictions administratives.

 

Le Tribunal Administratif de Pontoise lui donne raison et annule la décision des commissaires.

 

Mais, sur appel de France Galop, la Cour Administrative de Versailles annule le jugement et valide au contraire la décision des commissaires.

 

En rejetant le pourvoi de l’entraîneur, l’arrêt du Conseil d’État du 12 octobre 2018 mais fin à … 5 ans de litige et donne raison aux commissaires, de sorte que les amendes sont maintenues.

 

- La légitimité du pouvoir disciplinaire :

 

Le Conseil d’État valide ainsi la légitimité du pouvoir disciplinaire exercé par les sociétés mères.

 

Il rappelle qu’elles agissent dans le cadre de leur mission de service public telle que définie par l’article 2 de la loi du 2 juin 1891 modifiée par la loi du 12 mai 2010.

 

Les sociétés mères sont habilitées à exercer leur pouvoir disciplinaire chacune dans son domaine en vertu de l’article 12 du décret du 5 mai 1997 et il leur appartient de veiller au respect des prescriptions du code des courses de leur spécialité.

 

C’est d’ailleurs ce que rappelle à titre d’avertissement préalable le code des courses du trot.

 

Le titre V du code énumère les différents organes de la SECF habilités à exercer un pouvoir disciplinaire à savoir :

 

- les commissaires des courses qui officient sur les hippodromes et sont nommés par chaque société de courses

 

- les commissaires nommés par la SECF, lesquels vont statuer soit directement pour certaines infractions, soit le plus souvent comme juges d’appel des décisions des commissaires de course.

 

En vertu de l’article 116 du code, l’appel doit être régularisé par lettre recommandée avec accusé de réception dans un délai de 10 jours francs à compter de la publication de la décision contestée au bulletin de la SECF et doit être motivé.

 

L’appel ne suspend pas les effets de la décision attaquée et donc, en cas d’interdiction de courir, celle-ci s’applique malgré l’appel et ce jusqu’à ce que l’instance d’appel statue.

 

- la commission supérieure de la SECF : celle-ci statue en appel des décisions prises par les commissaires de la SECF. C’est donc un troisième degré de juridiction.

 

- le comité de la SECF : il juge lui-même en appel des décisions prises par la commission supérieure lorsque celle-ci statue en premier ressort.

 

Il s’agit donc d’un système trop complexe qui est difficile à appréhender et à mettre en œuvre.

 

Il permet toutefois à la SECF d’exercer légitimement son pouvoir disciplinaire lequel est indispensable pour assurer la régularité des courses et des paris et préserver les intérêts de chacun, y compris des parieurs.

 

- La régularité des décisions disciplinaires :

 

Le Conseil d’État s’est également prononcé sur la régularité des sanctions disciplinaires infligées à l’entraîneur. Sur le plan juridique, se pose l’épineuse question de savoir si les décisions disciplinaires ont autorité de chose jugée est donc valeur juridictionnelle, ce dont on peut légitimement douter puisqu’elles peuvent toujours faire l’objet, comme dans le cas d’espèce, de recours devant les juridictions étatiques.

 

Mais, il reste qu’en toute hypothèse, en vertu de la législation européenne et notamment de l’article 6-1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, les décisions disciplinaires ne sont régulières que si elles respectent les principes fondamentaux que sont notamment les droits de la défense, le respect du contradictoire, l’impartialité, l’objectivité et l’indépendance des juges.

 

En l’espèce, le Conseil d’État a considéré que ces principes avaient été respectés.

 

Il est vrai que les codes des courses énoncent que la personne poursuivie doit être à même de s’expliquer, qu’elle peut régulariser un appel, voire même plusieurs recours, et que les commissaires ou membres du comité ne peuvent statuer que s’ils n’ont aucun lien direct ou indirect avec les faits et les personnes incriminées.

 

Pour autant, il est permis de s’interroger sur le sentiment ressenti par les personnes incriminées qui peuvent penser que « les jeux sont faits d’avance », la SECF étant à la fois juge et partie !

 

A l’instar de qui se fait pour les sports équestres avec les commissions de discipline de la Fédération Française d’Equitation, peut-être pourrait-il être envisagé par les deux sociétés mères de créer des commissions disciplinaires indépendantes dont les membres nommés pour quatre ans n’auraient aucun lien contractuel avec elle et pourrait être nommés à la fois par elle et par les différents corps de professionnels assujettis au code des courses.

 

Une telle réforme, qui ne nécessiterait pas nécessairement de mise de fonds, les membres des commissions étant bénévoles, permettrait d’assurer une plus grande indépendance et une meilleure impartialité, qualités primordiales d’une décision de justice quelle qu’elle soit !

 

A propos de l'auteur

Photo de Sophie  BEUCHER

Avocat au Barreau d'ANGERS DESS droit des entreprises Membre de l’Institut du Droit Equin Chargée d’enseignement au pôle universitaire du saumurois Diplômée... En savoir +

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Sophie BEUCHER

Avocat au Barreau d'ANGERS

DESS droit des entreprises
Membre de l’Institut du Droit Equin
Chargée d’enseignement au pôle universitaire du saumurois

Diplômée d’un DESS droit des entreprises dispensé par la Faculté de Droit d’Angers, Sophie BEUCHER a intégré le Cabinet LEXCAP en 2004 en qualité de juriste.

Après avoir obtenu son diplôme professionnel par équivalence, elle s’est inscrite au Barreau d’Angers en 2009 tout en poursuivant sa collaboration avec le Cabinet LEXCAP et plus particulièrement avec Thierry BOISNARD dans le domaine du contentieux commercial.

Elle fait partie de l’équipe du secteur contentieux commercial qui intervient dans tous les domaines du droit des affaires.

Sophie BEUCHER est plus particulièrement en charge des contentieux relatifs aux litiges commerciaux, recouvrement de créances, droit de la consommation, droit bancaire, cautionnement, procédures collectives.

Par ailleurs, elle a développé une activité spécifique de droit équin, qu’il s’agisse des procédures judiciaires liées à des mises en jeu de responsabilité, à des ventes de chevaux, relations contractuelles, assurances, indivision, troubles de voisinage…ou qu’il s’agisse de conseils auprès de cavaliers, gérants d’écuries et entraineurs de galopeurs ou trotteurs consistant notamment dans la rédaction de contrats de vente, contrats commerciaux, de sponsoring, de mise en demeures.