Les baux commerciaux à l'épreuve du Covid

   
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L’allocution du Président de la République au début des mesures de confinement et avant la promulgation de la loi instaurant l’état d’urgence sanitaire laissait penser que tous les locataires pourraient, de droit, suspendre ou même annuler le paiement de leurs loyers commerciaux et des charges relatives à la fourniture d’énergie.

 

Or, ce n’est pas ce que prévoit l’ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020 prise en application de la loi instaurant l’état d’urgence sanitaire n°2020-290 du 23 mars 2020.

 

Alors, que dit cette ordonnance :

 

I. Les bénéficiaires

 

Tout d’abord, il faut préciser que tous les locataires ne sont pas susceptibles de bénéficier des dispositions de l’ordonnance puisque ne sont éligibles que « les personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique qui sont susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité mentionné à l'article 1er de l'ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 » et « celles qui poursuivent leur activité dans le cadre d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ».

 

C’est le décret n°2020-371 du 30 mars 2020 (modifié par le décret n°2020-394 du 2 avril 2020) qui précise les critères d’éligibilité au fonds de solidarité (instauré par l’ordonnance n°2020-317 du 25/03/20) et par conséquent aux dispositions relatives aux loyers et charges des locaux commerciaux (sous réserve d’une particularité s’agissant des entreprises en procédure collective).

 

Peuvent donc bénéficier des dispositions de l’ordonnance :

 

Toutes les personnes physiques et personnes morales de droit privé, résidentes fiscales françaises, exerçant une activité économique remplissant les conditions cumulatives suivantes :

 

- Début d’activité avant le 1er février 2020,

- Effectif inférieur ou égal à 10 salariés (au sens du I de l'article L. 130-1 du code de la sécurité sociale),

- Chiffre d’affaires du dernier exercice clos inférieur à 1 000 000 € (si pas encore un exercice complet: CA mensuel moyen entre date de création et 29/02/20 doit être inférieur à 83 333 €),

- Bénéfice imposable du dernier exercice (augmenté de la rémunération du dirigeant) inférieur à 60 000 € (si pas encore un exercice complet: prendre au 29/02/20 le bénéfice réalisé sur la durée d’exploitation et le ramener sur 12 mois),

- Le dirigeant ne doit pas être titulaire d’un contrat de travail à temps complet ou d’une pension de vieillesse, ni avoir bénéficié en mars 2020 d’indemnités journalières de la sécurité sociale pour plus de 800 €,

- La société ne doit pas être contrôlée par une société commerciale (dans ce cas c’est au regard de cette société holding qu’il conviendra de considérer les critères dans les conditions décrites au tiret suivant),

- Si l’entreprise contrôle une ou plusieurs autre société commerciale c’est le nombre de salariés et le chiffre d’affaires de l’ensemble des entités liées qui doivent être pris en compte pour les seuils qui précèdent,

- Ne pas avoir été en difficulté au 31/12/19 au sens de l'article 2 du règlement (UE) n° 651/2014 de la Commission du 17 juin 2014 (essentiellement: disparition de plus de la moitié du capital social en raison des pertes cumulées ou liquidation judiciaire)

 

En sus de ces critères inhérents à l’entreprise, il y a une condition contextuelle alternative :

 

- Avoir fait l’objet d’une fermeture administrative,

- OU avoir subi une perte de 50 % (initialement 70 % passé à 50 % par décret modificatif du 2 avril) de chiffre d’affaires en mars 2020 par rapport à mars 2019 (si création après mars 2019 comparaison avec la moyenne du CA mensuel depuis création).

 

Contrairement au fonds de solidarité dont le bénéfice est exclu aux entreprises qui ont déposé une déclaration de cessation de paiement avant le 1er mars 2020, les dispositions relatives aux loyers et charges sont applicables aux entreprises qui poursuivent leur activité dans le cadre d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire.

 

Dans ce cas, il leur faudra communiquer une attestation de l’administrateur ou du mandataire judiciaire.

 

II. Les conséquences sur les loyers et charges locatives

 

Contrairement à ce qui a été annoncé le dispositif n’instaure pas une suspension, encore moins une annulation, de droit et automatique du paiement du loyer et des charges.

 

L’ordonnance ne fait qu’interdire toute sanction par le bailleur à l’encontre d’un locataire qui ne paierait pas son loyer et ses charges durant la période déterminée.

 

En pratique, cela revient tout de même à autoriser les locataires à suspendre le paiement des loyers et charges sans pour autant régler la question épineuse de la date et des modalités de paiement des échéances qui n’auront pas été réglées. A ce jour, cette question est laissée à la libre discussion des parties au bail.

 

Plus précisément quelle est la période concernée et qu’est-ce que l’ordonnance interdit au bailleur ? :

 

- Période : sont concernés les loyers et les charges locatives dont l’échéance intervient entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai de deux mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire. L’état d’urgence sanitaire a été décrété pour une durée de 2 mois à compter de l’entrée en vigueur de la loi du 23 mars 2020. Donc à ce jour et sous réserve d’une prorogation de l’état d’urgence sanitaire, sont concernés les loyers et charges dont l’échéance intervient entre le 12/03/20 et le 24/07/20.

 

- Interdiction est faite au bailleur de tirer les conséquences suivantes de l’absence de paiement :

 

- Pénalités financières, intérêts de retard, clause pénale, dommages-intérêts ou astreinte,

- Mise en œuvre de la clause résolutoire ou de toute clause prévoyant une déchéance,

- Activation de garanties ou cautions,

 

Et ce, nonobstant toute stipulation contractuelle et les dispositions du Code de Commerce

 

III. Les conséquences sur la fourniture d’énergie et d’eau

 

Contrairement aux loyers et charges, il est ici instauré un droit à report du paiement des frais d’énergie et d’eau, outre l’interdiction de sanctions en cas de non-paiement, et il est prévu des modalités de paiement des échéances qui n’auront pas été réglées.

 

Alors quelle est la période concernée, qu’est-ce que l’ordonnance interdit aux fournisseurs et quelles sont les modalités de paiement des échéances impayées ? :

 

- Période : sont concernées les factures exigibles entre le 12 mars 2020 et la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire. Donc à ce jour et sous réserve d’une prorogation de l’état d’urgence sanitaire, jusqu’au 24 mai 2020.

 

 

- Les interdictions faites aux fournisseurs :

 

- Suspension, interruption, réduction ou résiliation du contrat de fourniture,

- Pénalités financières, frais ou indemnités

 

- L’obligation faite aux fournisseurs : accorder un report des échéances de paiement des factures concernées

 

- Modalités de report : le paiement des échéances reportées sera réparti de manière égale sur les échéances de paiement des factures postérieures au dernier jour du mois suivant la date de fin de l'état d'urgence sanitaire (à ce jour sous réserve de prorogation le 30 juin 2020), sur une durée ne pouvant être inférieure à 6 mois.

 

 

L’ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020 et donc l’un des dispositifs mis en place pour tenter d’accompagner les acteurs économiques durant la période d’état d’urgence sanitaire.

 

Il en existe d’autres comme par exemple l’instauration d’un fonds de solidarité par l’ordonnance n°2020-317 du même jour permettant sous réserve d’éligibilité d’obtenir une aide financière pouvant aller jusqu’à 1 500 €, et même une aide complémentaire pouvant aller jusqu’à 2 000 €.

 

De la même façon un certain nombre de dispositions relatives à la prévention et au traitement des difficultés des entreprises ont été modifiées pour s’adapter à la situation à la faveur de l’ordonnance n°2020-341 du 27 mars 2020.

 

Toutes les équipes du Cabinet se tiennent à votre disposition pendant et après cette période de défi pour vous accompagner au mieux de vos intérêts.

A propos de l'auteur

Photo de Pierre  LAUGERY

Avocat au Barreau d'ANGERS Diplômé d’un MASTER 2 mention droit privé général spécialité contentieux dispensé par l’UFR Droit-Economie-Gestion... En savoir +

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Pierre LAUGERY

Avocat au Barreau d'ANGERS


Diplômé d’un MASTER 2 mention droit privé général spécialité contentieux dispensé par l’UFR Droit-Economie-Gestion de l’université d’Angers, Pierre LAUGERY a intégré le Cabinet LEXCAP en décembre 2010 en qualité de juriste.

Après avoir obtenu son diplôme professionnel en 2011, il s’est inscrit au Barreau d’Angers la même année tout en poursuivant sa collaboration avec le Cabinet LEXCAP et plus particulièrement avec Thierry BOISNARD et Christian BEUCHER dans le domaine du contentieux commercial.

Il est avocat associé depuis le 1er octobre 2015 au sein de l’équipe du secteur contentieux commercial qui intervient dans tous les domaines du droit des affaires.

Pierre LAUGERY intervient plus particulièrement dans le cadre :


- de la résolution amiable et/ou contentieuse des litiges commerciaux de toute nature,

- du recouvrement des créances impayées,

- de mésententes entre associés,

- de litiges nés à la suite de cessions d’entreprises,

- de procédures collectives (prévention et traitement des difficultés des entreprises),

- des contentieux des baux commerciaux,

- des contentieux des baux d’habitation,

- des contentieux de la distribution et de la propriété intellectuelle,

- du droit du sport.