Les comédies romantiques face au Droit (50 nuances de Grey)

   
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Nous terminons cette semaine de la Saint Valentin en compagnie d’Anastasia Steele et Christian Grey. Le couple de la trilogie « Cinquante nuances de Grey » partage des « goûts très particuliers » et se construit sur la base d’un contrat de soumission.

 

 

Entre libertés individuelles, droit des contrats et infractions pénales, Nathalie Valade et Pierre Laugery proposent une analyse de cette relation.

 

 

CINQUANTE NUANCES DE GREY : SOUMISSION & CONTRAT

 

 

L’histoire et la problématique

 

 

Anastasia, jeune étudiante, rencontre Christian un riche homme d’affaires.

 

Alors que la jeune femme tombe sous son charme, Christian lui annonce qu’il a “des goûts très particuliers”.

 

 

La relation entre Anastasia et Christian va se poursuivre sur la base d’un élément clé : le contrat de soumission.

 

 

Si les protagonistes sont majeurs et semblent consentants, se pose néanmoins la question de la légalité des “goûts très particuliers” de Christian et du contrat qu’il présente à Anastasia.

 

 

1. Pratiques BDSM : le délicat équilibre entre les libertés individuelles et le droit pénal

 

 

Les « goûts particuliers » de Christian Grey sont à la frontière du droit à la vie privée (dont libre choix de sa sexualité), du droit de chacun à disposer de son corps et du droit pénal.

 

 

Sous l’angle du droit pénal, une activité sadomasochiste peut engendrer la commission d’infractions (telles que coups et blessures, violences, traitements humiliants et dégradants…) Par ailleurs, en droit pénal le consentement de la victime n’est pas un motif « justificatif ».

 

 

Sous l’angle des libertés individuelles, comme le souligne la Cour Européenne des Droits de l’Homme[1] « Le droit d’entretenir des relations sexuelles découle du droit de disposer de son corps […]. A cet égard, la faculté pour chacun de mener sa vie comme il l’entend peut également inclure la possibilité de s’adonner à des activités perçues comme étant d’une nature physiquement ou moralement dommageables ou dangereuses pour sa personne ».

 

 

La Cour ajoute : « II en résulte que le droit pénal ne peut, en principe, intervenir dans le domaine des pratiques sexuelles consenties qui relèvent du libre arbitre des individus. Il faut dès lors qu’il existe des raisons particulièrement graves pour que soit justifiée une ingérence des pouvoirs publics dans le domaine de la sexualité. »

 

 

Il appartient donc aux tribunaux de rechercher si, au regard des faits incriminés, l’ingérence que constituent des condamnations pénales n’apparaît pas disproportionnée.

 

 

 

 

2. Le contrat de soumission de Christian Grey : s’agit-il d’un véritable contrat ?

 

 

Un contrat est un « accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations ».[2] Un contrat oblige les parties à respecter leurs engagements[3], sauf accord contraire des deux parties[4]. En d’autres termes, une partie au contrat ne peut pas librement décider de modifier ses obligations ou ne pas les exécuter.

 

 

Le document soumis par Christian Grey à Anastasia ne peut donc pas être assimilé à un contrat au sens légal du terme. En matière de sexualité, indépendamment des pratiques en cause, chaque partie est libre de changer d’avis et retirer son consentement à tout moment, sans l’accord de l’autre partie.

 

 

Par ailleurs, la conformité à l’ordre public de ce « contrat » pourrait être débattue notamment parce que les parties y encadrent des pratiques susceptibles de correspondre à des infractions pénales et restreignent la liberté d’une partie à disposer librement de son corps. Un contrat ne peut « déroger à l'ordre public ni par ses stipulations, ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties »[5].

 

 

3. Le contrat de soumission : une preuve de consentement ?

 

 

Par son contrat, Christian Grey souhaite recueillir le consentement d’Anastasia pour un certain nombre de pratiques sexuelles.

 

 

Cette recherche de preuve de consentement est également au cœur de plusieurs applications mobiles. L’objectif affiché de ces applications est de « prouver » le consentement des parties avant une relation sexuelle. Même si ces applications précisent que le consentement peut être supprimé sur l’application, elles font l’objet de vives critiques, y compris juridiques.

 

 

D’une part, en cas de litige, il ne peut y avoir de garantie que l’acceptation sur l’application est bien le fait du/de la plaignant(e) ni que le consentement a été valablement exprimé. 

 

 

D’autre part, il ne peut être exigé de quiconque de retirer son consentement sur une application pour exprimer son refus d’une relation ou pratique sexuelle.

 

 

Enfin, l’expression du consentement sur une application peut être de nature à dissuader une personne de changer d’avis, voire de déposer plainte.

 

 

La « valeur » d’une telle preuve, dans le cadre d’une poursuite pénale, sera à tout le moins très relative.

 

 

 

Le 16.02.2024

 

Par Nathalie Valade et Pierre Laugery

 

 

 

 

[1] CEDH, requêtes n°42758/98 et 45558/99, 17.02.2015

[2] Article 1101 du Code civil

[3] Article 1194 du Code civil

[4] Article 1193 du Code civil

[5] Article 1162 du Code civil

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