Les infiltrations : un acte courant mais risqué !

   
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Le mot « infiltrations » désigne les injections médicamenteuses réalisées par un vétérinaire au plus près des sites inflammés ou lésés, soit en regard des articulations, soit en regard des vertèbres du cheval.

 

Bien que cet acte vétérinaire soit couramment pratiqué dans le cadre du suivi médico-sportif des trotteurs, il présente de multiples risques que les entraîneurs et les propriétaires doivent connaître.

 

Comme pour tous les athlètes, la course engendre des contraintes biomécaniques intenses au niveau des muscles, des tendons, des ligaments et des articulations.

 

L’objectif de l’entraînement est de préparer le cheval à la course et à la performance dans les meilleures conditions possibles, tout en préservant son intégrité physique et son bien-être.

 

Le choix du calendrier des courses, la qualité des sols, le suivi de maréchalerie, le rythme des entraînements et des périodes de repos, les protections éventuelles permettent à l’entraîneur d’optimiser la préparation du cheval qui lui est confié tout en le ménageant.

 

Ces principes sont particulièrement appropriés chez les trotteurs dont les carrières en courses peuvent durer de nombreuses années.

 

Néanmoins, au cours de l’entraînement, il apparaît fréquemment des gênes locomotrices. Celles-ci peuvent résulter de la conformation du cheval, de sa constitution, de sa tolérance à l’effort, de traumatismes ou d’affections dégénératives dont les causes peuvent être multiples.

 

Lorsque le cheval présente une irrégularité d’allures, l’intervention du vétérinaire est indispensable pour réaliser un bilan orthopédique qui permettra de déterminer la cause de cette gêne locomotrice.

 

Le diagnostic du vétérinaire permet également de localiser le siège et la nature des éventuelles lésions ou inflammations à l’origine de cette irrégularité d’allures.

 

Fréquemment, il s’agit d’une simple inflammation des structures concernées (articulations, gaines synoviales tendineuses, muscles, …) dont la gestion médicale nécessite notamment l’administration de médicaments à visée anti-inflammatoire.

 

En concertation avec l’entraîneur, le vétérinaire pourra alors préconiser le traitement le mieux adapté à la situation, lequel est associé à des consignes en matière de repos, de ferrure, de reprise progressive de l’entraînement après les soins et de délai avant d’envisager la participation du cheval concerné à une prochaine course.

 

Parmi les multiples possibilités thérapeutiques, les infiltrations tiennent une place de choix aussi bien pour le sportif humain que chez les chevaux de courses.

 

En effet, le fait d’administrer un médicament au plus près des sites inflammés ou lésés présente de nombreux avantages dont celui de diminuer les doses administrées et d’éviter les effets secondaires parfois néfastes des médicaments administrés par voie générale.

 

Ainsi, les injections médicamenteuses intra-synoviales ou paravertébrales profondes communément appelées « infiltrations » sont couramment pratiqués chez le trotteur.

 

Sauf à ne jamais regarder les publicités à la télévision, aucun entraîneur et aucun propriétaire ne peut ignorer que « tout médicament peut exposer à des risques. Demandez conseil à votre pharmacien ».

 

Il en va de même avec les médicaments administrés à l’occasion des infiltrations.

 

De nombreux médicaments peuvent être administrés par voie intra-articulaire et les plus fréquemment utilisés sont : les antiinflammatoires stéroïdiens (corticostéroïdes), l’acide hyaluronique, le PRP® (Plasma Riche en Plaquette), l’IRAP® et les cellules souches.

 

Il appartient au vétérinaire de choisir le médicament le mieux adapté à chaque situation.

 

Les risques inhérents aux infiltrations ne résultent pas uniquement du médicament lui-même mais également du fait de traverser la barrière cutanée pour administrer ce médicament au plus près du site concerné.

 

En effet, chez le cheval adulte, contrairement au poulain lors des premières semaines de sa vie, les articulations sont protégées des infections et il est exceptionnel qu’un germe qui circulerait dans l’organisme par voie sanguine contamine une articulation.

 

A l’inverse, la pénétration d’une aiguille stérile à l’intérieur de l’articulation engendre un risque infectieux, dont les conséquences peuvent être graves jusqu’à engager le pronostic vital du cheval.

 

Le risque médicamenteux et le risque infectieux ne sont pas les seuls risques recensés en lien avec les infiltrations.

 

On recense en réalité une dizaine de risques potentiels pour les injections intra-synoviales et autant pour les injections paravertébrales profondes qui sont les suivants :

 

Risques inhérents aux injections intra-synoviales :

 

- Synovite aseptique (inflammation synoviale stricte ou « flare »)

- Arthrite septique (Développement d’une infection dans l’articulation)

- Ostéomyélite

- Ténosynovite septique (Développement d’une infection dans la gaine synoviale qui entoure les tendons)

- Hémorragie

- Inflammation, œdème 

- Arthropathies dégénératives, lésions cartilagineuses, calcifications

- Rupture tendineuse

- Fourbure

 

Risques inhérents aux injections paravertébrales profondes :

 

- Arthrite septique ou discospondylodiscite septique (développement d’une infection dans le disque intervertébral)

- Abcès

- Hémorragie, hématomes

- Inflammation, œdème

- Troubles neurologiques

- Myosites

- Réveil de maladies infectieuses par baisse immunitaire due aux corticoïdes

 

Cet inventaire, qui résulte des travaux de l’AVEF (Association Vétérinaire Equine Française) doit faire réfléchir et renvoie à la nécessaire balance bénéfice/risque de tout acte médical.

 

A ces risques médicaux, potentiellement préjudiciables pour la santé du cheval lorsqu’ils se réalisent, se rajoute le risque secondaire de contrôle anti-dopage positif.

 

En effet, certains médicaments utilisés pour les infiltrations engendrent un risque de contrôle positif lors des tests effectués dans le cadre des contrôles anti-dopage.

 

En l’état actuel des connaissances scientifiques, il n’est pas toujours possible de prévoir précisément le délai d’élimination des produits administrés lors des infiltrations. Il est conseillé de faire procéder à une analyse de dépistage avant tout retour en course ou en compétition.

 

Toutes causes confondues, la fréquence des risques est rare et concerne moins d’1 cheval traité sur 1 000. En particulier, la fréquence des complications de nature infectieuse est évaluée à 4 cas pour 10 000.

 

A l’inverse, la gravité de certaines complications peut nécessiter une hospitalisation en clinique, des interventions chirurgicales (lavages articulaires, arthrotomie ou arthroscopie) et des soins intensifs coûteux. Dans les cas les plus graves, le pronostic vital du cheval peut être engagé.

 

En conclusion, comme tout acte médical, la mise en œuvre d’une infiltration comporte des risques et ne peut en aucun cas être considérée comme un acte banal même si elle est couramment pratiquée.

 

Chacun, propriétaire et entraineur, doit être en mesure de donner son consentement au praticien en ayant conscience des risques, de leur nature, de leur fréquence et de leur gravité potentielle.

 

En effet, outre les risques médicaux encourus en cas d’infiltrations qui sont heureusement rares, même s’ils sont variés et peuvent se révéler graves, le vétérinaire qui pratique des infiltrations s’expose également à des risques purement juridiques.

 

Rappelons que classiquement il est admis que pèsent sur le vétérinaire deux obligations principales :

 

1/ Une obligation de soins, le vétérinaire étant tenu de prodiguer des soins consciencieux, attentifs, et conformes aux données acquises de la science.

 

Il s’agit là d’une simple obligation de moyens, le vétérinaire n’étant pas tenu à un résultat, à savoir la guérison, mais simplement à tout mettre en œuvre pour soigner au mieux le cheval.

 

Dès lors, en cas de suites défavorables, il appartient au propriétaire du cheval concerné d’apporter la preuve de la faute imputée au vétérinaire.

 

2/ Une obligation d’information qui consiste pour le vétérinaire à indiquer à son client les risques encourus par le cheval suivant la nature des soins prodigués.

 

Le client doit ainsi être parfaitement éclairé sur les risques inhérents à telle ou telle intervention, en l’occurrence les injections intra-synoviales ou para vertébrales profondes.

 

Il s’agit là d’une obligation très contraignante pour le vétérinaire, car elle s’analyse en une obligation de moyens renforcée, assimilable à une véritable obligation de résultat.

 

Autrement dit, c’est au vétérinaire (sauf cas d’urgence ou d’impossibilité matérielle légitime) d’apporter la preuve qu’il a, avant tout soin, informé son client des risques encourus par le cheval qu’il va soigner.

 

Pour apporter cette preuve, le vétérinaire a tout intérêt à faire signer à son client un document reconnaissant qu’il a été parfaitement informé des risques encourus par le cheval.

 

En matière d’infiltrations, on retrouve bien entendu ces deux obligations principales mises en avant pour rechercher la responsabilité du vétérinaire, comme l’illustrent deux décisions récentes (jugement du Tribunal de grande instance d’Évry du 3 février 2017 et Arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence du 10 septembre 2020).

 

Sur l’obligation de soins :

 

Dans les deux décisions citées, les juges n’ont pas retenu la responsabilité des vétérinaires au titre de cette obligation de soins.

 

Le Tribunal d’Evry rappelle que le cheval soigné présentait une douleur bilatérale des genoux et une dorsalgie, alors qu’il effectuait une belle carrière de courses (164.560 € de gains et second au classement du Trophée Vert).

 

Les propriétaires demandaient que la responsabilité du vétérinaire soit retenue, et qu’il soit condamné à leur payer une somme importante de 210.125 € à titre de dommages intérêts.

 

Pour ce faire, ils invoquaient que le vétérinaire avait pratiqué une infiltration, à la suite de laquelle le cheval avait présenté un déficit neurologique le rendant inapte à toute utilisation. Ils mettaient en cause la longueur de l’aiguille utilisée, soit 12,5 cm, et l’atteinte de la moelle épinière.

 

Toutefois, s’appuyant sur les conclusions de l’expert judiciaire, le juge a estimé que la faute du vétérinaire n’était pas établie, ses soins ayant été conformes aux données acquises de la science. Autrement dit, le vétérinaire ne peut éviter, en cas infiltration pratiquée suivant les règles de l’art, que des complications puissent éventuellement survenir.

 

Quant à la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence, elle rappelle que le vétérinaire mis en cause avait pratiqué une infiltration sur une pouliche présentant une boiterie. Or, quelques jours plus tard, la pouliche a présenté une fêlure sur l’un des postérieurs, et le vétérinaire a alors pratiqué une intervention chirurgicale. Toutefois au réveil la pouliche s’est affolée, s’occasionnant une grave blessure, ce qui nécessita son euthanasie.

 

Or là encore, le juge a considéré que le vétérinaire n’avait pas commis de faute et ne pouvait donc pas être tenu responsable des conséquences néfastes de ses diverses interventions.

 

Ainsi, au titre de l’obligation de soins, le juge admet que les infiltrations peuvent présenter des risques de complications dont les vétérinaires ne sont pas responsables si leur faute n’est pas établie.

 

Sur l’obligation d’information :

 

En revanche, dans les deux cas cités, les juges ont estimé que les vétérinaires qui ne disposaient pas de preuve écrite, ne rapportaient pas la preuve qu’ils avaient rempli leur obligation d’information à l’égard de leurs clients.

 

Pour autant, les solutions adoptées par les juges sont différentes:

 

En effet, dans l’affaire jugée par le Tribunal d’Évry, la responsabilité du vétérinaire a été écartée, car les juges ont estimé que de toute façon les propriétaires auraient accepté la pratique d’infiltrations, dès lors qu’il n’existait pas de traitement alternatif et que, selon l’expert judiciaire, les risques de troubles neurologiques à la suite d’une infiltration n’étaient estimés qu’entre 0,01 et 0,02 %.

 

Le tribunal relève que, eu égard aux faibles risques encourus, les demandeurs n’auraient certainement pas laissé leur cheval sans soins, ceci afin de ne pas compromettre ses chances lors des courses à venir, et toute indemnisation a été refusée aux propriétaires.

 

En revanche, dans l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, le défaut d’information n’est pas retenu au niveau de l’infiltration mais de l’opération chirurgicale qui s’en est suivie. En effet le juge relève qu’il existait pour le vétérinaire une autre solution que l’opération, à savoir la pose d’un plâtre.

 

Certes cette solution n’aurait pas permis pour la pouliche d’envisager une carrière de courses, mais l’activité de la pouliche aurait pu être consacrée à une carrière de poulinière.

 

Ainsi, s’ils avaient été régulièrement informés par le vétérinaire, les propriétaires auraient pu choisir la seconde branche de l’alternative, à savoir la pose d’un plâtre.

 

Les juges estiment donc que la responsabilité du vétérinaire est engagée, mais que le préjudice s’analyse seulement comme une simple perte de chance de choisir cette solution du plâtre. L’indemnisation est alors fixée à hauteur de 30 % de la valeur de la pouliche en tant que poulinière.

 

En conclusion, la pratique des infiltrations n’est pas sans risque juridique pour le vétérinaire, car même si l’on admet que ces infiltrations peuvent en de rares occasions entraîner des conséquences néfastes sans faute avérée du vétérinaire, ce dernier doit pouvoir apporter la preuve qu’il a bien informé ses clients sur ses risques potentiels et sur les éventuelles autres solutions thérapeutiques envisageables.

 

Le mot d’ordre doit donc être :« pas d’infiltration sans information ».

 

Dr Vre Philippe Lassalas

Expert près la Cour d’Appel de Versailles

 

Maître Sophie BEUCHER - LEXCAP

Avocate au Barreau d’Angers

A propos de l'auteur

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Avocat au Barreau d'ANGERS DESS droit des entreprises Membre de l’Institut du Droit Equin Chargée d’enseignement au pôle universitaire du saumurois Diplômée... En savoir +

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Sophie BEUCHER

Avocat au Barreau d'ANGERS

DESS droit des entreprises
Membre de l’Institut du Droit Equin
Chargée d’enseignement au pôle universitaire du saumurois

Diplômée d’un DESS droit des entreprises dispensé par la Faculté de Droit d’Angers, Sophie BEUCHER a intégré le Cabinet LEXCAP en 2004 en qualité de juriste.

Après avoir obtenu son diplôme professionnel par équivalence, elle s’est inscrite au Barreau d’Angers en 2009 tout en poursuivant sa collaboration avec le Cabinet LEXCAP et plus particulièrement avec Thierry BOISNARD dans le domaine du contentieux commercial.

Elle fait partie de l’équipe du secteur contentieux commercial qui intervient dans tous les domaines du droit des affaires.

Sophie BEUCHER est plus particulièrement en charge des contentieux relatifs aux litiges commerciaux, recouvrement de créances, droit de la consommation, droit bancaire, cautionnement, procédures collectives.

Par ailleurs, elle a développé une activité spécifique de droit équin, qu’il s’agisse des procédures judiciaires liées à des mises en jeu de responsabilité, à des ventes de chevaux, relations contractuelles, assurances, indivision, troubles de voisinage…ou qu’il s’agisse de conseils auprès de cavaliers, gérants d’écuries et entraineurs de galopeurs ou trotteurs consistant notamment dans la rédaction de contrats de vente, contrats commerciaux, de sponsoring, de mise en demeures.