Nom de domaine reproduisant le nom d’une collectivité territoriale : l’étau se resserre !

   
  • Droit commercial
  • Droit public
  • Propriété intellectuelle & Nouvelles technologies
Image de l'article Nom de domaine reproduisant le nom d’une collectivité territoriale : l’étau se resserre !

 

 

Saisie d’un litige en matière de nom de domaine, la Cour de cassation, dans une décision du 5 juin 2019[1], s’est prononcée sur la possibilité, pour une entreprise de réserver un nom de domaine reproduisant le nom d’une collective territoriale.

 

Les faits étaient les suivants :

 

En 2004, la société DATAXY réserve deux noms de domaine intégrant du nom du Département de Saône-et-Loire : saoneetloire.fr et saone-et-loire.fr

En 2011, ce même Département dépose une marque française incluant le signe « SAONE-ET-LOIRE LE DEPARTEMENT »

En 2012, DATAXY réserve un troisième nom de domaine : saone-et-loire.fr

Fin 2012, le Département conteste la réservation des trois noms de domaine. La procédure, nommée « SYRELI », se déroule devant L’AFNIC.

Au regard des règles de la procédure SYRELI, l’AFNIC ne peut annuler que la réservation des noms de domaine postérieurs à un dépôt de marque. Le 08.10.2012, l’AFNIC fait droit à la demande du Département pour le nom de domaine saone-et-loire.fr réservé par DATAXY en 2012, soit après le dépôt de la marque du Département (2011).

DATAXY conteste la décision de l’AFNIC en saisissant le Tribunal de Grande Instance de Nanterre.

Le 22.10.2015, le TGI de Nanterre rejette la demande de DATAXY et accepte les demandes du Département pour les trois noms de domaine.

Le 14.03.2017, sur saisine de DATAXY, la Cour d’appel de Versailles confirme le jugement du TGI.

DATAXY conteste la décision devant la Cour de cassation. Juge du droit et non des faits, la Cour de cassation s’attache à vérifier si la décision de la Cour d’appel est conforme aux règles légales.
 
En l’espèce, la Cour de cassation devait vérifier si la Cour d’appel pouvait qualifier d’illégitime la réservation par DATAXY des noms de domaine incluant le signe Saône-et-Loire.
 
La Cour rejette le pourvoi de DATAXY et juge que l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles est conforme aux règles applicables.
 

1. Le nom de domaine réservé 2012 v/ la marque déposée en 2011 : l’indisponibilité d’un signe reproduisant une marque antérieure

La Cour rappelle explicitement la règle posée à l’article L45-1 du Code des postes et des communications électroniques[2] (CPCE) : « Les noms de domaine sont attribués et gérés dans l'intérêt général selon des règles [...] garantissant le respect […] des droits de propriété intellectuelle.
 
La règle « premier arrivé, premier servi » en matière de réservation de noms de domaine n’est pas absolue. Même si le nom de domaine est matériellement réservable, il convient de s’assurer de sa « disponibilité » juridique c'est-à-dire de l’absence d’atteinte à des droits antérieurs.
 
La Cour d’appel pouvait donc juger que le nom de domaine réservé en 2012 par DATAXY portait atteinte aux droits détenus par le département, depuis 2011, sur la marque « SAONE-ET-LOIRE LE DEPARTEMENT ».
 

2. Les noms de domaine réservés en 2004 v/ le nom d’une collectivité : la situation précaire des signes reproduisant un nom de collectivité
 
Concernant les noms de domaines enregistrés en 2004, la règle précédemment évoquée n’était pas applicable : le Département ne pouvait pas opposer de marque antérieure à 2004.
 
Les noms des collectivités territoriales bénéficient cependant de règles de protection particulières.
 
L’article L45-2 du CPCE dispose notamment qu’un nom de domaine peut être refusé s’il est « Identique ou apparenté à celui […] d'une collectivité territoriale […] sauf si le demandeur justifie d'un intérêt légitime et agit de bonne foi ».
 
Pour conserver des noms de domaine reproduisant le nom d’une collectivité territoriale, DATAXY devait justifier d’un intérêt légitime et de bonne foi. Les conditions sont cumulatives. 
 
L’intérêt légitime peut être retenu lorsque l’utilisation du nom de domaine reproduisant un nom de collectivité s’effectue « dans le cadre d’une offre de biens ou de services »[3].
 
La Cour de cassation ajoute à cette définition que l’offre de biens ou de services proposée par DATAXY doit avoir un rapport avec le Département de Saône-et-Loire pour justifier son intérêt légitime.
 
Il s’agit là d’un renforcement de la protection du nom des collectivités. Le titulaire du nom de domaine doit désormais prouver un lien entre les biens ou services qu’il propose sous ce nom de domaine et le territoire dont il utilise le nom.
 
En l’espèce, les noms de domaine enregistrés par DATAXY en 2004 reprennent bien le nom du Département mais le lien entre l’usage des noms de domaine et le territoire du Département n’étant pas prouvé par DATAXY ; l’utilisation de ces noms de domaine n’est pas conforme aux exigences légales.
 
Les conditions d’intérêt légitime et de bonne foi étant cumulatives, la Cour de cassation considère que la seule absence d’intérêt légitime permettait à la Cour d’appel de rejeter la demande de DATAXY.
 

Entre le droit des marques et la protection des noms de collectivités, la marge de manœuvre des titulaires de noms de domaine reproduisant le nom d’une collectivité territoriale devient particulièrement faible. 
 
La vigilance est donc de mise pour les titulaires de noms de domaine reproduisant un nom de collectivité territoriale.
 
 
 
Jade PROQUOT                                                                   Karen BERTELOOT
Etudiante en droit                                                                Juriste LEXCAP
M1 Propriété intellectuelle
 

A propos de l'auteur

Photo de Karen  SAMMIER

Avocat   Karen SAMMIER est titulaire d'un Master en Droit de la distribution, de la concurrence et de la consommation obtenu en 2005 ainsi que d’un Master en Droit de la propriété intellectuelle... En savoir +

Expert dans :

Droit commercial Propriété intellectuelle & Nouvelles technologies
Photo de Karen SAMMIER

Karen SAMMIER

Avocat

 

Karen SAMMIER est titulaire d'un Master en Droit de la distribution, de la concurrence et de la consommation obtenu en 2005 ainsi que d’un Master en Droit de la propriété intellectuelle et des nouvelles technologies obtenu en 2006, auprès de l’Université du Droit et de la Santé de LILLE II.



Après avoir travaillé en entreprises, en cabinets d’avocats et au sein d’universités, Karen SAMMIER intègre le Cabinet LEXCAP en septembre 2016 et prête serment en 2024.



Au sein d’une équipe spécialisée, les domaines d’intervention de Karen SAMMIER sont plus particulièrement :

 

- Droit de la propriété intellectuelle,

- Droit économique,

- Droit de la distribution,

- Droit de la consommation,

- Droit des contrats,

- Droit de la concurrence,

- Droit des nouvelles technologies.

 

Dans ces domaines, Karen SAMMIER a su notamment développer une compétence particulière dans le secteur des entreprises de distribution (généralistes et spécialisées).