Ventes internationales d'équidés

   
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La notoriété de l’élevage de trotteurs français a permis au cours des dernières années un développement très important des ventes à l’étranger. Cette évolution a été d’autant plus salutaire que le marché national se rétrécissait, et a permis de « booster » les ventes, les bons trotteurs se vendant de plus en plus cher.

Pour autant, en cas de litiges entre vendeur et acheteur, sans doute rares, mais toujours susceptibles de survenir, les ventes de trotteurs à l’étranger ne sont pas sans poser des problèmes juridiques complexes.

Or, l’éleveur qui vend par l’intermédiaire d’un courtier, d’un entraîneur, ou d’une société de vente aux enchères, un de ses produits à un investisseur étranger n’imagine évidemment pas qu’il va devoir pratiquer le droit international privé !

Ainsi, il va devoir se poser la question de savoir, en cas de litige, s’il pourra revendiquer l’application de la loi française et la compétence des juridictions françaises.

L’intérêt pratique de ces questions est évident car la complexité et le coût d’une procédure dépendent en grande partie du point de savoir si l’on peut appliquer sa loi et saisir son tribunal ou si au contraire on doit, par exemple, aller devant la juridiction italienne et appliquer la loi de l’un des états américains (il existe autant de lois que d’états aux Etats-Unis ! )

Une décision récente (arrêt de la cour d’appel de Versailles du 9 mai 2019) illustre parfaitement ce genre de difficultés. Certes cette décision a été rendue en matière de vente d’un cheval de CSO, mais elle est parfaitement transposable au domaine du trot.

Le cas d’espèce :

En juillet 2012 Monsieur A , Gérant de sociétés immobilières, de nationalité libanaise, mais domicilié en France, a acheté pour le prix de 100 000 € un cheval de huit ans destiné au saut d’obstacles à un vendeur Belge.

Cette vente est intervenue par l’intermédiaire d’un professionnel français mandaté par l’acheteur. Monsieur A. ne fût pas satisfait de son achat, considérant que le cheval présentait des problèmes physiques l’empêchant d’effectuer des épreuves de CSO d’ 1, 30 m. à 1,40 m.

Il engagea donc une procédure devant le tribunal français contre son mandataire, estimant avoir été mal renseigné, et contre sur mon vendeur belge, arguant d’un défaut de conformité du cheval. Le vendeur belge a fait valoir que le procès devait être intenté devant la juridiction belge avec application de la loi belge.

Le tribunal français a retenu sa compétence et l’application de la loi française mais a débouté Mr A., considérant que le défaut de conformité n’était pas établi.

Sur appel de Mr A., la Cour de Versailles a retenu effectivement la compétence de la juridiction française mais a estimé que c’est la loi belge qui devait s’appliquer, relevant, avec un soulagement manifeste «la très grande similitude entre les textes belges et français» !

En définitive, en appliquant la loi belge, la Cour est arrivée effectivement au même résultat et a débouté l’acheteur, considérant que le défaut de conformité n’était pas établi.

Cette décision pose donc clairement les questions de la loi applicable et de la juridiction compétente en cas de vente internationale d’un cheval.

La loi applicable :

Avant tout, il faut déterminer qu’elle est la loi applicable avant de rechercher la juridiction compétente. Le principe en droit international est que les parties sont libres de soumettre le contrat à la loi de leur choix, sauf cas extrêmes, comme par exemple si la loi choisie est contraire aux lois de police ou aux règles d’ordre public internes.

Mais faut-il encore que ce choix des parties soit exprimé clairement et donc soit écrit dans un contrat. Là encore on mesure l’intérêt pour toute vente de chevaux de rédiger un contrat de vente !

Il est vrai que l’essentiel des ventes internationales de chevaux se font par l’intermédiaire des sociétés de vente aux enchères.

Or la société Tottersalls Newmarket prévoit expressément l’application de la loi anglaise dans ces conditions générales de vente ( article 30).

Quant aux conditions générales de vente ARQANA, elles font référence en préambule à la réglementation française et marquent ainsi la volonté d’appliquer la loi française.

Pour les ventes de gré à gré il est en tout cas nécessaire de rédiger un contrat.

Si les parties n’ont pas choisi la loi applicable, celle-ci sera alors déterminée en fonction des règles de conflit de lois.

Ces règles sont prévues dans les traités internationaux, la difficulté consistant à déterminer si un traité international est effectivement applicable et lequel.

En matière de vente internationale de marchandises (selon le droit français, le cheval est toujours considéré comme un bien meuble), il existe une convention des Nations unies, CVIM , signée à Vienne le 11 avril 1980.

Cette convention fait la loi entre les parties et prévoit notamment une garantie de conformité, mais n’est pas applicable aux ventes aux enchères et à un consommateur qui achète un cheval pour son usage personnel et familial.

Il existe également de nombreux traités signés entre deux ou plusieurs pays, dont la France est signataire.

Mais, au moins à l’intérieur de l’Europe, on appliquera le règlement européen du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, dit Rome 1.

Ce règlement stipule que le contrat de vente de biens aux enchères est de toute façon régi par la loi du pays où la vente aux enchères a lieu.

Pour les ventes de gré à gré, l’article 4 prévoit que c’est la loi du pays dans lequel le vendeur à sa résidence habituelle qui doit s’appliquer.

Toutefois l’article 6 du règlement permet au consommateur d’appliquer, sous certaines conditions, la loi de son pays.

En l’espèce, la Cour de Versailles a retenu l’application de la loi belge dès lors que la vente avait eu lieu en Belgique auprès d’un vendeur belge, appliquant ainsi le règlement européen du 17 juin 2008.

On mesure ainsi la difficulté pour le juge français d’appliquer la loi Belge !

En principe celui qui revendique l’application d’une loi étrangère doit produire un certificat de coutume, c’est-à-dire fournir la documentation permettant de connaître cette loi étrangère.

En l’espèce, le vendeur belge prétendait que l’action était prescrite en vertu d’une loi belge du 25 août… 1885 !

Mais cette loi n’était pas produite et la cour a donc statué en vertu du droit civil belge proche du droit civil français.

Ceci démontre en tout cas qu’il est préférable de rédiger un contrat écrit et de prévoir la loi applicable pour éviter des questions fort complexes !

Le tribunal compétent :

Comme l’illustre l’Arrêt cité, ce n’est pas parce qu’une loi est applicable que les tribunaux de l’État concerné sont compétents ! Là encore il va falloir rechercher dans les conventions internationales les solutions applicables et là encore il est difficile de toutes les citer.

Si l’on s’en tient à une vente à l’intérieur de l’Europe, on appliquera cette fois le règlement européen du 22 décembre 2000. Selon l’article 23 de ce règlement, les parties peuvent prévoir une clause attributive de compétence aux tribunaux de tel ou tel État.

À défaut, en vertu de l’article 5 du règlement, en matière de vente de marchandises, on retient la compétence de la juridiction de l’État ou les marchandises ont été ou auraient dû être livrées, donc le lieu de livraison du cheval acheté.

S’il y a plusieurs défendeurs, il est possible sous certaines conditions, en vertu de l’article 6 du règlement, de les assigner tous devant le tribunal du domicile de l’un d’eux.

Enfin si le contrat est conclu par un consommateur, il peut revendiquer la compétence du tribunal de son domicile (article 16 du règlement).

C’est en vertu de ces principes, que la Cour de Versailles a retenu en l’espèce la compétence des juridictions françaises.

En conclusion, en cas de vente ou d’achat à l’étranger, il est vivement conseillé pour éviter tout mal de tête de s’adresser à un juriste qui pourra prévoir la loi applicable et le tribunal compétent !

Il est également possible de prévoir, pour éviter ces difficultés, des clauses de médiation ou d’arbitrage en cas de litige.

A propos de l'auteur

Photo de Sophie  BEUCHER

Avocat au Barreau d'ANGERS DESS droit des entreprises Membre de l’Institut du Droit Equin Chargée d’enseignement au pôle universitaire du saumurois Diplômée... En savoir +

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Photo de Sophie BEUCHER

Sophie BEUCHER

Avocat au Barreau d'ANGERS

DESS droit des entreprises
Membre de l’Institut du Droit Equin
Chargée d’enseignement au pôle universitaire du saumurois

Diplômée d’un DESS droit des entreprises dispensé par la Faculté de Droit d’Angers, Sophie BEUCHER a intégré le Cabinet LEXCAP en 2004 en qualité de juriste.

Après avoir obtenu son diplôme professionnel par équivalence, elle s’est inscrite au Barreau d’Angers en 2009 tout en poursuivant sa collaboration avec le Cabinet LEXCAP et plus particulièrement avec Thierry BOISNARD dans le domaine du contentieux commercial.

Elle fait partie de l’équipe du secteur contentieux commercial qui intervient dans tous les domaines du droit des affaires.

Sophie BEUCHER est plus particulièrement en charge des contentieux relatifs aux litiges commerciaux, recouvrement de créances, droit de la consommation, droit bancaire, cautionnement, procédures collectives.

Par ailleurs, elle a développé une activité spécifique de droit équin, qu’il s’agisse des procédures judiciaires liées à des mises en jeu de responsabilité, à des ventes de chevaux, relations contractuelles, assurances, indivision, troubles de voisinage…ou qu’il s’agisse de conseils auprès de cavaliers, gérants d’écuries et entraineurs de galopeurs ou trotteurs consistant notamment dans la rédaction de contrats de vente, contrats commerciaux, de sponsoring, de mise en demeures.